ou comment interpréter les appellations diverses des demeures seigneuriales avant le XVème siècle en Touraine
Article de J. Hélène VAGNINI du Centre Généalogique de Touraine
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LE LOGIS SEIGNEURIAL – LA MAISON FORT ou FORTE ou FERTE
LA GRANDE MAISON – L’OSTEL NOBLE
Le logis seigneurial prend exemple, plus modestement, sur le château fort : les rois de France et la haute noblesse demeuraient dans des châteaux forts jusqu’au XVème siècle. Le château fort est une grande habitation fortifiée en pierres qui avait un rôle défensif et actif : il possédait des douves ou de profonds fossés remplis d’eau faisant le tour de l’enceinte ; il était protégé par une muraille crénelée, une porte défendue par une herse puis un pont levis à partir du début du XIVème siècle. Il y avait un donjon qui servait de refuge en cas de besoin. Ce qu’on appelait la basse cour était hors les murs d’enceinte castrale, dans une deuxième enceinte suffisamment vaste pour accueillir des habitations diverses, des écuries, des bâtiments agricoles et quelquefois un logis seigneurial dont les occupants étaient liés de près à la cour royale.
Le logis seigneurial
Du XIIème au XVème siècle, le château fort va servir de modèle aux constructions plus modestes, tel le logis seigneurial qui va porter plusieurs noms.
Le logis seigneurial est habité par des seigneurs de plus ou moins grande importance, avec quelques différences assez floues. Le logis seigneurial, au XIIème siècle, est un vaste bâtiment situé la plupart du temps dans la basse-cour d’une place forte et réservé à l’usage du seigneur et de sa famille. Le corps de logis est la partie principale du bâtiment.
Mais il peut être aussi le logis du maître d’une ferme fortifiée, en campagne ou au milieu d’un bourg, bâti sur les terres d’un fief appartenant à un seigneur auquel il doit hommage.
Le logis seigneurial dispose de contreforts, de murailles et de fossés alimentés en eau. Il a généralement deux niveaux : le rez-de-chaussée et le premier étage :
- Rez-de-chaussée : Un grand cellier et une cuisine avec une cheminée monumentale. Ce niveau empêche l’humidité naturelle du sol d’envahir l’étage (il n’y avait pas de fondations).
- Premier étage : Une grande salle à usage public ou à usage de réception où étaient organisés repas et cérémonies officielles. Usages différents selon l’importance du seigneur. Une très grande cheminée dans cette salle. On y accédait par un escalier extérieur appelé Degré. Une chambre avec cheminée, chambre du seigneur, au bout de la grande salle, à laquelle on accédait par un autre escalier extérieur. Au sujet des escaliers, que l’on appelle dans les textes de l’époque des « degrés », (construits en colimaçon et protégés par une tour), ceux-ci étaient à l’extérieur du corps de logis. Cette tour n’ayant aucun caractère défensif, à ne pas confondre avec les tours crénelées de défense.
Tout logis seigneurial disposait également d’une pièce annexe servant de chapelle.
Le logis seigneurial pouvait porter plusieurs noms. Ce sont tous ces noms qui posent un petit problème !
Dans ce terme de logis seigneurial je vais glisser : LA MAISON FORTE – LA GRANDE MAISON – l’OSTEL NOBLE, car les descriptions et définitions se ressemblent énormément et il est presque impossible de différencier ces logis, tant sur le plan architectural que sur le plan du rang social des propriétaires.
La maison fort ou forte
La maison forte (ou ferté ou fort) se distingue du château fort par sa dimension et ses ouvrages défensifs moins importants. Dans la deuxième moitié du XIIème siècle, de nombreux chevaliers accèdent à la noblesse. Cette petite aristocratie va s’implanter sur les alleux (terre libre ne relevant d’aucun seigneur et exempte de tout devoir féodal), y bâtir sa demeure et prendre le nom de sa terre… Cette nouvelle noblesse est donc détentrice de « maisons fortes » qui sont des logis fortifiés à la campagne. Les maisons fortes ne sont pas des châteaux, ni de simples résidences. Elles peuvent être construites avec une tour (ou plusieurs), situées souvent aux abords des bourgs ou à la frontière d’une grande seigneurie. C’est le plus souvent une maison-tour défensive, quadrangulaire.
En Touraine, il semble y en avoir peu, j’en relève une : à Amboise dans la paroisse Saint-Denis-d’Amboise, près de l’Hôtel-Dieu, il existait « La Maison Fort », dite aussi La Papelardière. Au XIVème siècle, Hue d’Amboise rend aveu à l’archevêque de Tours pour La Papelardière ou Maison Fort à Amboise.
A ce sujet on trouve à Reugny, à la date du 25 juin 1792, un acte de transfert de sépulture au château de La Vallière à Reugny où il est dit :

Le vingt six juin mil sept cent quatre vingt douze
en decarelant la chapelle de la vallière on a levé une
pierre dure d’environ trente pouces en quaré qui fermait
un caveau bien vouté un escalier de pierre pour y descendre
dans lequel caveau est un cercueil en plomb partie
mangé par le sel et sur icelui une plaque de cuivre
rouge sur laquelle sont gravés ces mots cy
repose me laurent de la baume le blanc chevallier
seigneur des chatellenies de la valliere et reugny
baron de la maison fort gouverneur pour le roy des
ville et chateau d’amboise et mestre de camp de
la Cavallerie légère decédé le vingt un septembre
mil six cent #trente un requiescat in pace
#Cinquante
Michau curé de reugny
Ce texte confirme que la maison fort était un ouvrage défensif, habité par un gouverneur dans ce cas précis.
Si on ne relève qu’une seule « MAISON FORT(E) » en Touraine, c’est sans doute que le terme n’est pas tourangeau.
Est-il possible d’assimiler GRANDE MAISON et MAISON FORTE ?
Il semble que non, puisque la grande maison n’a pas un caractère défensif
La grande maison
D’après J.X Carré de Busserole [1], pour « GRANDE MAISON » j’en relève plus d’une cinquantaine en Touraine, dont beaucoup relèvent du Clergé, et dans une étude d’André Montoux [2] sur certaines de ces maisons je relève :
- à Lémeré, qu’il s’agit d’ une grande maison rectangulaire, avec un étage et un comble, une fuye.
- à Parcay-Meslay (Mairie actuelle), bâtiment rectangulaire, un étage et un comble
- à Verneuil-sur-Indre, bâtiment rectangulaire, un étage, deux hauts pignons triangulaires
- à Pouzay, une bâtisse à un étage et deux grandes cheminées
- à Rouziers, avec une tourelle carrée, un fossé, une cour, donjon et bâtiments.
- à Crissay-sur-Manse, une belle maison à un étage avec trois fenêtres à meneaux + toit mansardé avec trois hautes lucarnes élégantes.
Il y en avait une également, à Amboise, car Louis XI avait attribué à son fils le Dauphin, futur Charles VIII, dès sa naissance, la Grant Maison (1470).
Par contre on peut assimiler Grande Maison à Ostel-Noble ?
A Rouziers, on dit qu’anciennement la Grande Maison s’appelait « l’Ostel de la Cour » : le mot Ostel est intéressant, car il confirme qu’un Ostel-Noble peut être assimilé à une Grande Maison.
L’Ostel-Noble
Définition d’un OSTEL-NOBLE en milieu urbain
Avant le XVIème siècle, en milieu urbain, c’est une maison seigneuriale bâtie au centre d’une terre noble. Un Ostel-Noble est presque toujours construit en pierres de taille. A Tours, c’est la demeure de grands officiers royaux. Jusqu’à la fin du XVème siècle, la qualité de l’occupant s’affirme par des éléments de fortification : pavillon en donjon, tourelle, poterne… Il imite, sur un mode mineur, le château fort campagnard avec une volonté d’isolement de la classe sociale par rapport au peuple. Les signes architecturaux ont donc valeur de signes sociaux. L’Ostel-Noble était implanté sur une parcelle plus vaste que l’hôtel bourgeois ».[3]
Donc on peut inverser les données : un petit château fort campagnard peut être un ostel-noble. Comment transférer cette définition urbaine à un ostel-noble rural ? Une terre noble est une terre possédée par la noblesse, des biens nobles sont des biens tenus en fief.
OSTEL (ou HOSTEL) toujours NOBLE en milieu rural
En consultant différents textes du XIIème au XVIème siècle, je constate que le mot ostel est très souvent employé : par exemple à l’Ile-Bouchard[4] il y a beaucoup de fiefs relevant de l’archevêché de Tours au milieu du XIVème : Ostel de la Mariette, Ostel de Crissé, Ostel de Creuilly, Ostel de Saché, Ostel du Haut Boizay, Ostel de la Vrillière, Ostel de l’Oysellière près de Marcillé, Ostel de l’Islette, Ostel du Petit Nays, Ostel de la Rochefaron près Cormery, Ostel de Cossé (Cousse) près Vernou (l’Ostel de Cossé près Vernou étant ce qu’on appelle aujourd’hui… « Le Manoir de Cousse » !).
COMMENT DIFFÉRENCIER CES LOGIS
Si on ne peut pas différencier ces logis d’avant le XVème par leur apparence, on peut sans doute les différencier par leur appartenance première, c’est-à-dire :
- Château fort – Logis royal (défensif) : construit sur un fief noble (La Haute Noblesse ou noblesse héréditaire)
- Maison forte (défensive) : construite sur des alleux (terres libres et exemptées de tout devoir féodal) (Noblesse fraîchement anoblie, chevaliers… dès le XIIème)
- Hostel noble (non défensif) toujours construit sur une terre noble. C’est la propriété des grands officiers seigneuriaux ou royaux sur des terres tenues en fief par un seigneur du lieu auquel ils doivent un impôt (Question : ces seigneurs du lieu ne seraient-ils pas le plus souvent de grands ecclésiastiques ?)
- Grande maison (non défensive) : toujours construite sur une terre noble, tenue en fief par la noblesse.
QUE SONT DEVENUS CES LOGIS SEIGNEURIAUX APRÈS LE XVème SIÈCLE ?
Ce n’est qu’au début du XVIème que la très riche bourgeoisie (en recherche d’anoblissement) va avoir les moyens de devenir propriétaire de grandes maisons, de maisons fortes et d’hôtels-nobles.
Bernard Chevalier s’interroge [5] :
Pourquoi nos hommes de la haute bourgeoisie désirent-ils avec tant de force être adoubés ? Pour un parvenu c’est le seul moyen de se faire appeler « noble homme », donc de dépasser la simple honorabilité. Ils veulent passionnément avoir une terre où ils pourront faire figure de châtelains, avoir justice patibulaire à trois piliers et différents droits qui rapportent de l’argent. Une châtellenie coûte cher, mais c’est une bagatelle pour des gens aussi riches.
A défaut de châtellenie les honorables hommes trouvent des métairies toutes prêtes avec des terres… La terre gagnée en général comporte en son centre un logis agrémenté d’une tour et une ou deux courtines et, si ce n’est pas suffisant, il obtient la permission de faire bâtir et édifier castel, place et maison forte… et de plus en plus beaux on arrive aux châteaux de la Loire Azay, Chenonceau, Chissay, etc. et qui seront élevés plus tard en châtellenie.
L’OSTEL-NOBLE DE COUSSE À VERNOU (37)

Ainsi appelé au XIVème siècle.
On voit que la toiture était beaucoup plus haute, la tour carrée à gauche est une chapelle (la Chapelle des Anges).

Ce logis se nomme actuellement le Manoir de Bas-Cousse.
Les Seigneurs des Cousses avant le XVIème siècle sont :
- 1300 – Pierre de l’Ile Bouchard
- 1330 – Philippe Ysoré
- 1488 – Jehan Travers (maire de Tours)
Que ceux-ci tiennent leurs biens des archevêques de Tours, barons de Vernou, auxquels ils doivent hommage.
Dès le XVIème l’Ostel-noble de Cousse devient propriété de grands bourgeois, tels Philibert GALLAND, Jehan FOURNYER, receveur général des Finances du Roy, Ambroise et Charles ROBILLARD écuyers, etc.
[1] Mémoires Société Archéologique de Touraine (MSAT) T. XXX -1882
[2] Vieux Logis de Touraine – 1974 – Montoux André (CLD Normand et Cie éditeur)
[3] NVB – page 266 – J.H.Vagnini-Plot 2005
[4] Carré de Busserole MSAT n° T.XXIX – 1880 – p.367 à 368 :
[5] Tours Ville Royale 1356-1520 – Publ. Sorbonne série NS Recherches
Merci pour cet article très bien argumenté et qui nous en apprend beaucoup sur l’organisation sociale de nos ancêtres et sur la façon dont ils vivaient
Bien d’accord ; je n’ai pas souvenir d’avoir déjà vu une chronique aussi détaillée sur ce sujet.
Très belle et instructive introduction.
A Azay-sur-Cher nous avons également un lieu-dit « grande-maison ». Il est situé sur une proéminence de relief, en dehors du bourg, et comporte plusieurs bâtiments anciens. Un sujet à approfondir après la lecture de cet article.
Très bel article.
Je suis en Anjou mais cela ne devait pas être très différent…
Merci pour toutes ces informations et précisions très intéressantes.
Merci Feuilles d’Ardoise et on suit avec intérêt les articles de votre blog
Dans l’acte de vente de la terre de Candé (Monts), du 28 juin 1715, passé entre les sieurs de Guénand et de la Niverdière, la demeure est décrite comme un « chastel maison forte » (AD37, minutes notariales, 3E4/402).
Hâte de lire les prochains articles.