
Article de Jean SIMON
co-fondateur du Centre Généalogique de Touraine
S’il est évident que les souvenirs de mes premiers moments sur cette terre sont absents de ma mémoire encore embryonnaire, par contre mes parents me les ont souvent racontés et je peux leur faire confiance.
Naissance
En ce mois de septembre 1928, mes parents étaient venus passer quelques jours à Saint-Aignan sur les bords du Cher, chez une charmante cousine germaine de mon père. Il faisait beau en cet été finissant et ce séjour devait être agréable sous les ombrages et sans surprise, puisque ma naissance n’était prévue que pour courant octobre.

Las ! Dans la nuit du 7 ma mère ressentit les premières contractions d’un bébé impatient de voir le jour. Branle-bas de combat ! En vitesse il fallut refaire les bagages, les charger dans la Citroën B14 et, après de rapides embrassades, départ vers Tours où Mlle BRIBART, surnommée par mon grand père « le général BRIBART », sage-femme attitrée de la Maison, avait été prévenue.

Je la reverrai souvent par la suite avec ses fines lunettes cerclées d’or, lorsqu’elle interviendra pour mes frères et sœurs, sévère et efficace, chassant les hommes de la chambre de la parturiente avec autorité.
Tout était prêt, si bien qu’à peine parvenus chez nous, avenue du Mans, Maman put s’allonger, ayant perdu les eaux en cours de route. C’était la grande presse !
Ouf ! L’enfant est arrivé dans le grand lit et non dans la voiture, malheureusement avec 5 semaines d’avance ; le bébé n’est ni très joli ni très fini : pas un cheveu sur le caillou, pas d’ongles, la fontanelle fortement en creux et pour finir un spina-bifida. Il a bien fallu l’accepter tel quel sans possibilité de le renvoyer. Mes parents n’étaient pas au bout de leurs peines car, pendant cette première journée, je n’ai fait, paraît-il, que gémir comme un pauvre gamin qui ne se sentait pas bien.
Je n’arrivais pas à me réchauffer malgré les 2 bouillottes rondes en cuivre, ensachées dans une housse de coton, glissées de chaque côté du corps dans ce berceau alsacien. C’était un couchage très encombrant, tout en rotin peint en blanc monté sur 4 roues en bois, grandes comme des assiettes, cerclées de caoutchouc noir, parfois avec une touche de blanc lorsque la peinture de mon père avait dépassé la limite convenue.

Comme le soir je n’avais toujours pas changé de couplet, Mlle BRIBART en partant dit à mes parents : « Si demain matin il continue ainsi, je pense qu’il n’y aura plus d’espoir de le sauver. » C’était vraiment vexant pour moi qui ne demandais qu’à vivre… aussi, pour leur faire la nique, le lendemain je m’étais arrêté et je dormais silencieusement.
Les mois passant, je récupérais mes ongles ainsi qu’un soupçon de cheveu. J’étais blond comme les blés mais, avec les années, j’ai perdu ma blondeur. Toutefois ma santé restait préoccupante pour mes parents. Que de fois j’ai entendu mon père dire à ma mère : « Jamais nous n’arriverons à l’élever », ce qui n’était pas très encourageant pour mon avenir.
Si mes premières années ne m’ont pas laissé de souvenirs tangibles, je me souviens toutefois que je ne pouvais aller en classe à cause de ma santé fragile. Nous avons donc accueilli Mlle CHIQUET, assez pincée, qui dispensait son enseignement sur la table de la salle à manger. Je la vois encore ouvrant la fermeture éclair de sa trousse, tricotée en laines multicolores, pour y trouver gomme et crayons dans un fouillis organisé.

Soins à domicile
Etant donné que je tombais très souvent malade dans mes premières années, notre médecin de famille, le Dr MERCIER, avait prescrit un « traitement de cheval » pour lutter contre mes rhumes, mes bronchites à répétition et mon asthme apparu à l’âge de 3 ans. C’était une suite d’enveloppements ou de bains sinapisés, parfois accompagnés de ventouses.
Les enveloppements, comme son nom l’indique, consistaient à enduire un long morceau de gaze avec de la farine de lin tiédie, saupoudré de farine de moutarde. Ensuite ma mère me l’entourait autour du torse. Après une sensation de froid fort désagréable, la poudre de moutarde faisait son effet pendant les 20 minutes durant lesquelles je devais garder cet emplâtre. Lorsque l’on m’enlevait cet enveloppement, tout mon torse était devenu rubicond et, pour calmer cette brûlure, le talc était le bienvenu !
Les bains sinapisés s’appuyaient sur une autre technique toute aussi agressive. Dans la salle de bains, ma mère installait une grande lessiveuse en acier galvanisé sans couvercle, qui faisait bien 60 cm de haut. Elle était remplie d’eau très chaude dans laquelle était délayée abondamment de la farine de moutarde. On me trempait dedans complètement et, pour éviter que le mélange ne me pique trop les yeux, un lange de coton tendu sur le dessus, n’ayant plus alors que la tête apparente. Pour tenir le lange bien tendu, maman fait appel à Jeanne BOUE, notre femme de ménage. Durant la durée de mon supplice, elles discutaient de choses et d’autres, si bien que leur attention se relâchait et souvent le tissu trempait dans le mélange irritant, ce qui me faisait pousser des cris d’indignation. Après cette station humide, on me glissait dans une couverture de laine blanche aux fines lignes bleues, qui avait été préalablement cousue pour former un grand sac. Là je devais continuer à transpirer avant de reprendre une couleur de peau proche de la normale.
Les ventouses n’avaient rien de particulièrement agréable. Mis sur le ventre, on me les mettait sur le dos après avoir préalablement enflammé un petit coton pour faire le vide. J’appréhendais toujours le moment où, faute d’air, le coton s’éteignait et me touchait le dos. La vision de cette chair aspirée en partie à l’intérieur de la ventouse était assez impressionnante ; j’avais eu le droit de regarder une fois cet effet avec une glace. Pour enlever ces 9 petits pots, ma mère appuyait légèrement sur l’extérieur de ma peau et, avec un bruit d’air, la ventouse se décollait. Lorsque tout était ôté, il ne restait plus que 9 ronds rouges comme trace de ce traitement. J’ai le souvenir qu’une fois, à Tharon, le médecin local avait prescrit des ventouses pour soigner une nième bronchite, mais nous n’en avions pas ; maman utilisa alors des verres à pied dont les bords plus minces me rentraient davantage dans le dos. Ce fut certainement efficace, puisqu’on ne le fit qu’une fois, heureusement !
Dans un genre tout aussi plaisant, j’ai eu droit au « Rigollot » : c’était un cataplasme de la taille et de la consistance d’une carte postale.
D’un côté il y avait le mode d’emploi en rouge avec, en grand et en noir dans le bas, la signature de ce Dr RIGOLOT dont il était le génial inventeur. L’autre côté, qui m’était destiné, était enduit de farine de moutarde forte. Pour une bonne efficacité il fallait le laisser tremper cinq minutes dans l’eau, puis l’appliquer sur la poitrine du patient préalablement allongé.
Après l’avoir supporté une demi-heure, délai que je tentais toujours de ramener à vingt minutes, Maman me le retirait délicatement car il mettait la peau à vif ; aussi pour calmer cette brûlure, le talc était également le bienvenu !…
Pour terminer le tour de ces charmants procédés il y avait encore cet emballage cartonné représentant un démon vert dont le cou était entouré d’une écharpe de matière fibreuse orange qui lui déclenchait un sourire de grande jouissance. Ce ne fut jamais mon cas. La « Ouate Thermogène » se mettait en plaque sur la poitrine et sous le maillot de corps pour provoquer une bonne réaction dermique. Bien que peu agréable, c’était nettement moins pénible que le « Rigollot ».
Malgré tout cela, j’ai survécu !!!
et viens même d’atteindre mes 96 ans.

Sources illustrations : Gallica – Annuaire Deslis – www.automotomagazine.net – wikipédia




Super . Quelle belle narration . Longue vie à vous . Prenez soin de vous .
Bonjour Mr Simon, grand merci à Vous,
vous m’avez transportée bien en arrière,
bien avant et jusqu’en 1960 où mon Père comptait sur ses précieuses ventouses dès
qu’une méchante toux le menaçait…et le scénario des enveloppements de moutarde…
tout un poème..J’y ai eu droit aussi..
Bien cordialement, S Lemaire Chollet
Ce sont les souvenirs que j’en ai, y avait les ventouses j’en ai eu plusieurs fois
Je me rappellent également des rigollot
Merci Mr Simon pour cet article.
Eric et Catherine
Bonjour Monsieur Simon,
J’avais complètement oublié ces histoires d’enveloppement à la farine de moutarde, etc. dont j’ai bénéficié, ainsi que les ventouses que je devais mettre à ma mère.
J’ai connu une prématurée née en juin 1912, une tante. Elle nous a toujours raconté que, pour la réchauffer, on l’avait mise dans une boite à chaussures, avec du coton, devant l’entrée du four de la cuisinière. Cela a dû lui réussir car elle a vécu jusqu’à 86 ans quand même.
Merci pour ce témoignage.
Bonjour Françoise, c’est drôle..je suis née jumelle (1939), bien fragile avec mes 2 kg maxi et suis restée aussi dans une boite à chaussures enveloppée dans du coton..sûrement pas loin de la cheminée..
Cordialement, Simone Lemaire Chollet
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