Les écoles lieux d’internement pendant la Guerre 39-45

Article de Guy ROUSSEAU
du Centre Généalogique de Touraine

Suite à la défaite de juin 1940, le régime de Vichy succède à celui de la IIIème République. Dès les premiers jours, le nouveau gouvernement dirigé par le maréchal Pétain annonce une rupture dans la politique éducative : contre l’école républicaine et ses valeurs (liberté, égalité, laïcité) accusées d’être responsables de la défaite du pays, l’ordre, l’autorité et la hiérarchie doivent désormais guider l’institution.
Les Ecoles Normales d’Instituteurs sont fermées et les programmes scolaires modifiés.
Un certain nombre d’établissements perdront leur vocation de lieu d’enseignement et seront utilisés à des fins beaucoup moins louables…

L’école de filles Michelet

Elle se trouvait rue Michelet, entre les rues Chalmel et Parmentier à Tours. Construite en bois dans les années 20, l’école est abandonnée après l’invasion de la France et s’installera entre 1941 et 1944 dans une maison privée rue Roger Salengro. Très endommagée par les bombardements en mai 1944 et détruite par un incendie en 1949, l’école Michelet actuelle est implantée rue Galpin-Thiou.
La prison rue Henri Martin n’arrivant plus à « héberger » toutes les personnes arrêtées, l’école est réquisitionnée pour devenir un lieu d’internement pour militants politiques, syndicaux et passeurs de la ligne de démarcation. L’endroit sert également de transit pour les Juifs partant vers la déportation.

Les fiches de police consultées aux Archives départementales décrivent les très mauvaises conditions de détention imposées aux enfants enfermés dans cette école. Une femme internée en septembre 1942 témoigne :
« Les soldats allemands nous gardent. Les femmes et les enfants sont d’un côté, les hommes dans d’autres classes : les lits sont posés côte à côte, nous n’avons rien à faire de toute la journée. »
Certains seront transférés en camion vers le camp de La Lande près de Monts, d’autres emmenés à pied jusqu’à la gare de Tours, escortés par les gendarmes.

De 1941 à 1944, 142 personnes y furent internées gardées par 12 sentinelles allemandes et par des geôliers.
La prison se composait de 6 chambres (3 pour les hommes, 2 pour les femmes et 1 pour le stockage du matériel).

Un article de Roselyne Texier, paru dans La Voix du Peuple du 12 mai 2000, rappelle l’histoire de 2 hommes qui ont pu s’évader le 13 décembre 1943 :
Bernard MAILLET est arrêté le 6 avril 1943 par les Brigades spéciales françaises, au domicile de sa mère, concierge à l’école Rabelais. Dans cette école, réquisitionnée par les forces d’occupation, les Allemands stockent les armes que les habitants d’Indre-et-Loire doivent remettre à l’occupant. En plus des vols d’armes commis à l’école, Bernard Maillet participe à des distributions de tracts, à des inscriptions sur les murs… Après son arrestation, il est remis à la Gestapo, rue George Sand, transféré à la prison rue Henri Martin, puis emmené début octobre à l’école Michelet.
André LARDEAU est arrêté le 4 juillet de la même année. Il faisait partie des FTP de la région de Bléré La Croix-en-Touraine et avait refusé de partir au STO. Il aidait au franchissement de la ligne de démarcation. Il tombe dans une souricière organisée conjointement par la police française et la Gestapo près du pont de Bléré. Il reste 89 jours en cellule, seul, à la prison de la rue Henri Martin. Dans les premiers jours d’octobre, il est conduit dans un camion bâché à l’école Michelet.
Un plan d’évasion est minutieusement préparé : le sol en béton étant trop dur, la tentative se fera par le plafond. Le jour choisi, la météo est favorable : dans la nuit du 12 au 13 décembre, il neige beaucoup et le gardien « oublie » quelques rondes sans doute pour rester au chaud. Il y a également beaucoup de vent et les bruits sont atténués. Une couverture tenue à bout de bras au-dessous du plafond permettait de recevoir les gravats en douceur. Il s’agissait ensuite de ramper sur le faux-plafond, de découvrir la toiture, de sauter sur le tas de charbon et de franchir le mur et ses barbelés. 11 détenus prirent le chemin de la liberté. Au bout de 4 heures de travail, ils se retrouvent dans la rue. Bernard Maillet ira du côté de Montbazon (il sera repris en 1944 et déporté), André Lardeau partira vers la Sologne.


L’école normale de filles de Saint-Symphorien

Situé à Tours-Nord, l’établissement sert de lieu d’internement à plus de 200 Juifs tourangeaux raflés les 15 et 16 juillet 1942. Ils seront ensuite acheminés vers Auschwitz-Birkenau, après être, pour certains, passés par le camp de La Lande.

Plusieurs témoignages donnent une idée de l’ampleur du drame qui s’est passé en ce lieu.
Le Dr Lettich raconte :
« Les 200 que nous étions, le 15 juillet au soir, furent conduits à l’école normale de filles, sur le plateau de Saint-Symphorien. Dès la grille de la prison provisoire franchie, nous avons compris que la liberté n’est plus qu’un vain mot. On nous enlève nos pièces d’identité, nos cartes d’alimentation, nos bijoux personnels. La nuit se passe dans des baraques cadenassées où les enfants qui ne comprennent pas pleurent à chaudes larmes. Le lendemain, 80 autres prisonniers étaient emmenés au camp de La Lande à Monts. Mères er enfants étaient rassemblés et acheminés à leur tour vers ce camp de Monts, d’où ils partirent le 15 septembre vers Drancy. On ne les revit jamais. Quant aux hommes entassés à 75 par wagon, ils furent dirigés vers Angers, maltraités par les agents de la Gestapo et, de là, acheminés sur le camp d’Auschwitz, camp funèbre situé dans une des régions les plus insalubres de la Pologne. »
Avec eux, partent également 113 internés de La Lande par le convoi n° 8 qui, via Le Bourget, arrive à Auschwitz le le 23 juillet. En 1945, seules 14 personnes sur 824 (dont 430 femmes) tous des hommes, étaient encore en vie. C’est dans ce convoi que le Dr Lettich est déporté. Sa femme et son petit garçon de 5 ans sont morts à Auschwitz.


Le camp de La Lande près de Monts

Sources :
Camps et lieux d’internement en région Centre. (Gérard Ferrand)
Réformer l’école sous Vichy (Juliette Fontaine) Éducation et société 2015 n°
 36
AD37 – Article de la Nouvelle République

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VERGNES
VERGNES
2 années plus tôt

Bravo pour cet article et ces moments d’histoire.

GAUDION
GAUDION
2 années plus tôt
Reply to  VERGNES

L’article est intéressant. J’ai vécu cette période; j’avais 10 ans et j’étais dans la classe unique de l’Ecole de Saint-Georges-su-Cher. Nous étions deux « étrangers » et nous nous faisions « courcer » par les garçons du lieu: « Parigots, têtes de veaux; Parisiens, têtes de chiens ». Cela aurait pu être pire ! On en est sorti !!
Il aurait seulement fallu penser prévenir les enfants du coin que nos parents et grands-parents étaient natifs du même « patelin » que le leur…
Tout ceci est dérisoire, mais significatif !