
Article de Jacques THOMAS – Paru dans le Touraine Généalogie n° 13 – 1er trimestre 1993 page 34 Rubrique « Histoire et généalogie »
Parmi les premiers colons de l’Île Bourbon, actuel département de La Réunion, l’on trouve un Tourangeau.
Samson LEBEAU, dit La FLEUR, qui à juste titre peut être considéré comme un des fondateurs de la colonie puisqu’arrivé en 1676, soit 10 années après Etienne REGNAULT et ses 20 compagnons, il est resté dans l’île et y a fait souche.
Samson LEBEAU, dit La FLEUR, est né à Tours, paroisse Saint-Simple, le 14 mars 1652. Il est le fils de Jacques et de Martine BROSSARD.

Nous ne savons s’il a quitté la Touraine pour des motifs impérieux, ou face au dénuement s’est vu contraint d’accepter les avantages offerts par le roi à ceux qui consentaient à demeurer un certain temps à Madagascar ou aux Indes.
Samson LEBEAU, cordier de son métier, a donc fait partie de ces petits artisans ou gens de métier, voire vagabonds selon E. REGNAULT, qui ont été recrutés par voie d’affiches par la Compagnie des Indes Orientales et qui embarquaient alors à La Rochelle, Rochefort, Brest, Saint-Malo, Le Havre.
Carte interactive des traversées maritimes de Samson LEBEAU :
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La date de son départ ne nous est pas connue mais, puisqu’il est dit « ancien de Madagascar », on peut penser que son engagement le destinait au service de la Grande Isle, auquel cas il a pu y venir avec la troisième flotte affrétée par la Compagnie, escadre dite « de Perse » commandée par BLANQUET de la HAYE, qui appareilla de Rochefort le 29 mars 1670 ; voire sur la « Dunkerquoise » qui quitta La Rochelle le 29 mars 1673 et arriva à Fort-Dauphin (Madagascar) le 14 janvier 1674.

Son séjour à Madagascar a été de courte durée mais néanmoins mouvementé, puisqu’il va y vivre les heures tragiques du massacre de Fort-Dauphin au cours duquel, le 27 août 1674, quelques 2000 Malgaches armés de lances et de javelots se ruent sur les Français qui célèbrent leurs premiers mariages dans l’île. Sur les 127 Français de l’établissement 75 périssent, ce qui amena l’abandon de Madagascar par la France pendant deux siècles.
Samson LEBEAU, qui a eu la chance d’échapper à la tuerie et de pouvoir s’enfuir avec quelques autres rescapés, est recueilli par un navire « Le Blanc Pignon », pour certains « Le Pigeon Blanc », qui se trouve miraculeusement prêt à appareiller dans la rade. Ses aventures ne sont pas pour autant terminées, puisque le navire poursuivant sa route se dirige vers les côtes d’Afrique, faisant plusieurs escales au Mozambique puis, remontant vers les Indes, aborde à Surate en octobre 1675.
Ce n’est que le 5 avril 1676 que les malheureux rescapés de Madagascar peuvent enfin quitter Surate à bord du « Saint-Robert » qui les débarque dans la baie de Saint-Paul à Bourbon en mai 1676. Signalons au passage que, parmi les compagnons de voyage de notre Samson, figure Françoise CHATELAIN que l’on appellera plus tard « la grand’mère de Réunionnais » pour sa participation active au peuplement de l’île, sans nul doute un tempérament puisqu’elle convola 4 fois !

Ayant enfin mis pied sur une terre hospitalière, notre Tourangeau dut penser à son installation et, pour ce faire, construire sans tarder une misérable case, couverte de feuilles de palmiste et se mettre à désherber une parcelle de terre pour la cultiver. La principale occupation de ces colons étant en effet la culture et l’élevage, l’exercice peu ou prou de leur métier ne pouvant leur permettre de subvenir à leurs besoins.
Installé tant bien que mal, c’est vraisemblablement vers 1679 que Samson LEBEAU a épousé Domingue ROSAIRE, fille indienne arrivée en novembre 1678 de la côte de Coromandel. On sait que dans les années 90 il s’est rendu acquéreur d’une habitation, c’est-à-dire case et terres avoisinantes, dans le quartier de Sainte-Suzanne et ce pour « 40 andouilles de tabac« .
De son mariage il a eu 11 enfants, 6 garçons et 5 filles nés entre 1680 et 1710. Un garçon, Jacques né en 1694, est certainement décédé en bas âge.
Ayant atteint l’âge de 68 ans, c’est à Sainte-Suzanne que notre colon, le premier Tourangeau à avoir fait souche dans l’Île Bourbon, s’éteindra en février 1720.
Pour conclure nous présenterons le portrait, combien imagé, qu’en a fait en 1710 Antoine BOUCHER dans son « Mémoire pour servir à la connoissance particulière de l’Isle Bourbon » et dans lequel figure une notice biographique très détaillée des 99 chefs de famille établis alors à Bourbon.
« Samson LEBEAU, dit La FLEUR, est un homme de 55 ans, de ces anciens de Madagascar ; il est de Tours, cordier de son métier. Cet homme ne sçait pas troubler l’eau, car il est bon qu’il en est beste, et n’a aucune éducation ; sa bestise est aussy préjudiciable au public que s’il était bien méchant, et encor plus, en quelque manière, car s’il estait méchant il ne pourrait que faire du mal, seul, au lieu que sa tolérance pour ses enfants fait qu’ils sont les plus grands libertins de toute l’isle ; il y en a huit sçavoir : 4 garçons et 4 filles ; … l’éducation de ces huit enfants est odieuse à réciter, car il n’en a pas un seul qui sçache son pater ; ce Samson LEBEAU avec ce nombre d’enfants et un bon esclave devrait avoir la plus florissante maison et la plus abondante habitation du quartier, mais non il meurt de faim et n’a pas de quoy se couvrir, jusques la qu’il est obligé de temps à autre dans le quartier Saint-Paul faire une queste pour avoir de quoy se mettre une chemise sur le corps … Ce Samson a pour femme Domingue ROSAIRE, indienne, mais plus noire qu’un diable, et aussy ivrognesse qu’il est ivrogne, et si elle n’a pas l’accomplissement de toutes ces belles qualités attachées au libertinage c’est qu’elle est trop vieille et trop laide et que personne n’en veut.«

Sources :
Les premiers colons de l’Île Bourbon, A. ROSSET
Bourbon des origines jusqu’en 1714, J. BARASSIN
Étude sur les origines extérieures de la population libre de Bourbon, J. BARASSIN
Archives ministère DOM-TOM
Illustrations : Wikipedia