
D’après un article de Roland ROPION paru dans le Touraine Généalogie n° 8 – 4ème trimestre 1991 page 262 Rubrique « Histoire et généalogie »
L’histoire se passe fin février 1848. Le jeudi 24, le peuple de Paris chasse Louis-Philippe, le 25 Lamartine fait une prestation remarquée sur le perron de l’hôtel de ville, et le 26 le Gouvernement provisoire de la République commence à légiférer.
Pendant ce temps, que se passe-t-il à Ballan, petite commune près de Tours ?
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Un procès-verbal sur le registre des délibérations va nous éclairer sur sa participation modeste – et heureusement moins sanglante – aux évènements.
« L’an 1848, le 28 février à deux heures du soir, les citoyens de la commune de Ballan ci-après dénommés se sont rendus de leur propre mouvement dans la salle des séances de la mairie de cette commune afin de reconnaître et proclamer les faits suivants :
Samedi dernier, 26 de ce mois à 7 heures du matin les citoyens LEJEUNE notaire, CHRISTOFLEAU maître charpentier, ANGUILLE charcutier, LAGRANGE maître couvreur, BOYER maître maçon, RICHARD maître maréchal et DUCOTEAU clerc de notaire se sont rendus chez les citoyens LESEBLE et SOUVENT, l’un maire et l’autre adjoint de la commune de Ballan pour leur déclarer que leurs fonctions devaient expirer avec le gouvernement corrompu qui les avait créées et pour réclamer d’eux, avec leurs démissions, la remise des clefs de la mairie afin d’en prendre possession.
La République a été proclamée.
Sur leurs réponses négatives, ces citoyens ont appelé le citoyen HUROT serrurier et lui ont enjoint d’ouvrir de force la porte de la mairie afin d’en prendre possession.
Le citoyen LESELBE a immédiatement rapporté les pièces qu’il avait indûment enlevées.
Les citoyens LEJEUNE et CHRISTOFLEAU ont été désignés sur le champ pour composer l’administration provisoire de Ballan.
Hier ces deux citoyens ont réuni la garde nationale qui a consacré leur choix par un vote unanime.
C’est donc avec surprise que les soussignés apprennent qu’aujourd’hui même, sur l’ordre du directeur des Postes de Tours, les dépêches du gouvernement ont été délivrées au citoyen LESEBLE ex-maire qui n’a jamais été digne de la confiance du peuple.
Pour éviter qu’un pareil fait se renouvelle, ils déclarent se rendre dans cette salle afin d’en prendre possession et de confirmer aux citoyens LEJEUNE et CHRISTOFLEAU les pouvoirs qui ont été remis entre leurs mains ».
Suit une liste de 21 présents (1 propriétaire, 1 journalier et 19 artisans ou ouvriers, ce qui semble curieux dans une commune composée à 80 % de vignerons et d’agriculteurs).
Le procès-verbal suivant immédiatement est daté du 26 mars. Il est rédigé au nom d’un nouveau conseil municipal qui se présente comme régulièrement nommé par arrêté de la commission du gouvernement à la résidence de Tours. Il est présidé par le nouveau maire, M. de La POTERIE, et, à quelques exceptions près, ses membres sont ceux du conseil d’avant la Révolution.
Mariés ou concubins ?
Là où l’affaire intéresse les généalogistes, c’est que, dans l’intervalle, les « squatters » de la mairie ont enregistré des actes d’état civil, à savoir : 3 naissances, les 5, 14 et 16 mars ; 3 décès, les 1, 14 et 16 mars ; et surtout un mariage, le 28 février, dont voici un extrait :
« AU NOM DU PEUPLE SOUVERAIN
L’an mil huit cent quarante huit, le lundi 28 février, à deux heures de l’après-midi, devant nous, représentant du peuple, membre de la commission administrative provisoire de Ballan, membre de l’ex-conseil municipal de Ballan (Indre & Loire) ont comparu… Louis FRONTEAU… vigneron… de Notre-Dame d’Oë…
Et Demoiselle Marie PALISSIER, gagiste demeurant à Ballan,… ».
Le témoin « GAUDIN a signé avec le Représentant du peuple ».

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L’acte est signé effectivement par GAUDIN et d’une sorte de cycloïde mal dégrossie que par comparaison avec les autres actes nous pouvons identifier comme la signature de LEJEUNE.
Les membres de la commission administrative provisoire qui agissent de leur propre mouvement, qui occupent la mairie de force, et dont les pouvoirs n’ont jamais été confirmés, même a posteriori par le gouvernement de la IIème République n’ont rien de légaux. Maître LEJEUNE, ou si l’on préfère le citoyen LEJEUNE, bien qu’ex-conseiller municipal, n’a jamais agi en tant qu’officier de l’état civil et il semble bien qu’il n’ait pas eu de délégation pour le faire.
L’acte lui-même est douteux ; le nom et la qualité d’officier de l’état civil de la personne qui prononce le mariage ne sont pas mentionnés. On peut du reste se demander si ce n’est pas volontairement. Maître LEJEUNE, ex-conseiller municipal et de surcroît notaire, connaît le droit ; peut-être préfère-t-il le violer anonymement ?
La question qui se pose est de savoir si Louis FRONTEAU et Marie PALISSIER sont légitimement mariés selon la loi, et si le curé de Ballan qui leur a donné la bénédiction nuptiale n’a pas encouru les lourdes peines prévues dans ce cas.
Quel généalogiste-historien-juriste répondra à cette épineuse question ?
