Un passage incontournable à l’entrée de Tours : les octrois et leurs gabelous

Article rédigé par Evelyne LÉTARD, Secrétaire générale du Centre Généalogique de Touraine

L’octroi est un « droit levé par une ville à son profit en vertu d’une autorisation du souverain », perçu par les municipalités à l’importation de marchandises sur leur territoire, à l’exclusion des produits de première nécessité dits produits francs de droit, comme les blés et les farines, conformément à l’ordonnance du 9 décembre 1814 qui énumère les marchandises taxables : boissons et marchandises liquides, comestibles, combustibles, fourrages et matériaux.
Contrairement au péage qui est un droit perçu sur le passage des véhicules voire des personnes, l’octroi est un prélèvement sur la valeur des marchandises. Le terme d’octroi désigne également l’administration chargée de prélever cette taxation.

L’octroi a deux fonctions : contrôler l’import/export ou le simple transit des marchandises, et limiter la contrebande. Les bureaux d’octroi occupent des fonctions territoriales, économiques et symboliques : situés en bordure de ville, ils ont un rôle d’entrée et délimitent l’espace urbain des municipalités. De même, ils contribuent dans une grande proportion au revenu perçu chaque année par les villes. Ils sont une barrière symbolique et protectrice, diminuant notamment les risques d’émeutes venant des faubourgs ; ils marquent également la limite de l’autorité policière de la municipalité.
Abandonné pendant la Révolution, l’octroi fut rétabli sous le Directoire mais, durant la Seconde Guerre mondiale, il accroissait encore plus les difficultés d’approvisionnement des denrées comestibles. Il fut donc supprimé définitivement par la loi n° 379 du 2 juillet 1943.
Cet impôt a toutefois survécu dans les départements d’outre-mer, où il est connu sous le nom d’octroi de mer applicable à la plupart des produits importés.

Barrière Sainte-Anne et rue Lamartine

Les bureaux de perception en 1926

Selon l’Annuaire de René & Paul DESLIS de Tours de 1926 (période d’activité de mon grand-père), l’octroi de Tours comporte 11 bureaux de perception dont 6 sont équipés de ponts bascules régis par les employés de l’octroi :

  • 1 – Montlouis
  • 2 – Rochepinard
  • 3 – Grammont
  • 4 – Pont-Cher
  • 5 – La Riche et
  • 6 – Abattoir,

les 5 autres : 7 – Choiseul, 8 – Nouveau-Calvaire, 9 – Vouvray, 10 – La Fuye, 11 – L’île (pont Bonaparte) n’en possédant pas.

Tours en 1911 – Source : Archives départementales d’Indre-et-Loire

L’octroi de Tours est en régie simple, administré directement par le maire, et la direction en est confiée à un préposé en chef. La surveillance générale est exercée par la régie des contributions indirectes. Un tarif est appliqué sur les liquides (hors vins et cidres où les droits sont acquittés au départ en prenant le congé), comestibles, combustibles, fourrages et denrées, matériaux et objets divers (tarif 1924-1928).


Mon grand-père
Louis Joseph LÉTARD

Louis Joseph naît le 29 décembre 1888 à Montbazon ; il est le fils de Jean LÉTARD et Jeanne BAILLARD. Le 24 janvier 1914, il épouse à Saint-Cyr-sur-Loire Léa Renée PINIER, fille de Louis Albert PINIER et Léonine Célestine BEAUGÉ. Charpentier couvreur, il travaille à Montbazon avec son père et ses frères, Louis et Jean Élie.

Inscrit sous le n° 113 de la liste cantonale de Montbazon et n° 735 au Registre Matricule de la Classe 1908 de Tours, il est incorporé au 6ème Régiment du Génie le 15 avril 1914. Grièvement atteint par un éclat d’obus le 30 novembre 1917 « en quittant volontairement son abri pour aller sous le bombardement soigner son cheval blessé », il est réformé pour invalidité par la Commission spéciale de Tours. Le Général Commandant en chef de la 5ème Armée décerne au « Sapeur conducteur modèle » la Médaille militaire en février 1918 ; il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur par décret du 22 février 1943 et Officier de la Légion d’honneur par décret du 25 avril 1949.
Il décèdera le 17 novembre 1949 à Tours.

Généalogie Louis Joseph LÉTARD


Un emploi réservé à la ville de Tours

La Grande Guerre laisse en France 3 594 000 blessés et environ 5 000 000 malades : une législation nouvelle s’impose pour faciliter le retour à la vie civile de ces soldats mutilés et leur intégration économique : la Nation doit s’acquitter de ses devoirs envers les victimes de guerre, en favorisant le reclassement social de milliers d’invalides, veuves et orphelins de guerre. Il faudra néanmoins attendre 1923 pour que les parlementaires adoptent une loi réservant des emplois aux victimes de guerre dans les administrations et les établissements publics (Parution au Journal Officiel du 7 février 1923).

Cette politique de reclassement est pratiquée plus tôt par la Ville de Tours : dès le 23 mars 1920, le Directeur des Contributions indirectes nomme Louis Joseph « préposé de 5e classe de l’octroi de la ville de Tours », poste qu’il prendra après avoir prêté serment devant le Tribunal civil de Tours le 30 mars 1920 :

Il se verra décerner la Médaille de l’octroi pour ses bons et loyaux services durant sa carrière de gabelou, où il sera successivement nommé :

  • Préposé de 5e classe de l’octroi de la ville de Tours en 1920,
  • Préposé de 7e classe le 1er janvier 1921 (traitement annuel 4800 fr.),
  • Préposé de 6e classe le 1er janvier 1923 (avancement triennal 5000 fr.),
  • Préposé de 5e classe à 6800 fr. le 1er juillet 1925 (traitement de 8800 fr. au 1er janvier 1928 et 9000 fr. au 1er juillet),
  • Receveur adjoint le 19 janvier 1929 à 9200 fr.
  • Brigadier de 5e classe par arrêté préfectoral du 24 avril 1933,
  • Receveur de 2e catégorie par arrêté préfectoral du 6 avril 1934,
  • Chef de brigade de 4e classe par arrêté préfectoral du 25 février 1935,
  • Receveur de 1ère catégorie 2e classe par arrêté préfectoral du 9 novembre 1937,
  • Contrôleur de 3e classe par arrêté préfectoral du 14 décembre 1938.

Les octrois où Louis Joseph a exercé ses fonctions

Il habitait Saint-Cyr-sur-Loire chez ses parents (sa mère tenait une épicerie au niveau des Maisons Blanches) lorsqu’il a pris ses fonctions à l’octroi de la place Choiseul, en bas de la Tranchée.

Les barrières de Saint-Cyr, la Tranchée et l’octroi place Choiseul

Les quatre pavillons d’octroi, après le pont traversant la Loire et au pied de la Tranchée, sont réalisés en pierre calcaire et ornés de chaînes d’angle. Ils comportent 4 niveaux : une cave voûtée, un rez-de-chaussée servant de bureau de perception des taxes, un étage pour le logement du gardien, et un comble ainsi qu’une petite cour où s’effectue la pesée de certaines marchandises. L’oculus (petite ouverture circulaire avec ou sans panneau vitré) au dessus de la porte d’entrée est encadré par deux modillons soutenant une corniche saillante et un fronton cintré surbaissé.
Le plan de la place Choiseul est achevé en 1783 et c’est le roi qui finance les travaux, exécutés sous l’autorité de l’ingénieur en chef de la généralité de Tours, Jean-Baptiste de VOGLIE qui achève la construction des pavillons d’octroi et des deux murs parés de grilles de fer.
Barrières et grilles seront détruits au cours du XXème siècle. Les bureaux d’octroi sont classés à l’inventaire des Monuments historiques en 1951.

Les barrières et l’octroi de Saint-Pierre-des-Corps

Louis Joseph a ensuite été muté à l’octroi situé à l’entrée de Saint-Pierre-des-Corps, à la jonction de l’ancien canal et de la Loire. Ce bâtiment en pierre, à droite sur la carte postale, existe toujours sur le quai.

Le « bureau de perception Montlouis »
A droite les panneaux d’affichage sur la façade du bâtiment et la bascule
1935 octroi de Saint-Pierre-des Corps
au centre mon père Jean et à droite ma tante Madeleine devant les panneaux d’affichage

au 1er plan : la bascule
Dans le jardin de l’octroi à Saint-Pierre-des-Corps
De gauche à droite :

mon père Jean, ma grand-mère Léa,
mon grand-père Louis et ma tante Madeleine

Sources :
– Wikipedia
– gallica.bnf.fr

– OpenEdition Journals n° 121-1 (2014)
– Annuaire DESLIS 1926
– dépliant distribué par la ville de Tours lors de la Journée du Patrimoine
– collection de cartes postales et documents de Liliane LÉTARD

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DUPUY Dominique
DUPUY Dominique
2 années plus tôt

Très intéressant MERCI à vous

robin
robin
2 années plus tôt

merci ,article qui m’a beaucoup interessée

Emmfredin
Emmfredin
2 années plus tôt

Un grand merci pour cet article riche de renseignements sur ces lieux important de Tours. « Grand-père Louis », doit être content de cet hommage… Bravo.

Claude christ
Claude christ
2 années plus tôt

Article très intéressant, il a en plus le mérite de bien différencier les notions d’octroi et de péage, souvent confondus.

Camille Hoinard
Camille Hoinard
2 années plus tôt

Bonjour merci beaucoup pour cette article fort intéressant qui mêle la grande histoire à la petite, ce qui est très captivant, surtout quand on passe souvent devant ces octrois sans vraiment les regarder/en connaître le passé!!
J’ai juste une question : qu’est ce que les ponts à bascule ?
Merci d’avance

mlc
mlc
1 année plus tôt

Pont basculeLes ponts bascules sont les outils idéaux pour mesurer rapidement et précisément le poids total d’un camion et de son chargement. Relié à des indicateurs avec des logiciels entrée/sortie, ils mesurent un camion à l’entrée et à la sortie et permettent de calculer le poids du matériel chargé ou déchargé. Avec leurs différentes tailles, les ponts bascules permettent de peser tout type de véhicule que ce soit une petite fourgonnette sur un plateau de 6 mètres ou un semi-remorque permettant de transporter jusqu’à 50 tonnes. Leur avantage principal reste la simplicité de la pesée et donc la rapidité et… Lire la suite »

Auclert Danielle
Auclert Danielle
2 années plus tôt

Merci pour ce bel article

Michel Clement
Michel Clement
2 années plus tôt

Bravo pour cet article très bien documenté.

Dominique MARCHIN
Dominique MARCHIN
1 année plus tôt

Merci pour cet article riche en informations locales….mais pas que ! Et sur cette belle histoire du ” Grand-père Louis » ???