
Liés au travail de la farine, au foulage des peaux ou du tissu, au broyage des écorces pour les tanneries ou des amandes et cerneaux de noix pour la production de l’huile, à la fabrication de la poudre à canon ou du papier et du carton, tous les moulins de Touraine ont une histoire… et quelle histoire !
C’est ce que nous allons tenter de vous faire découvrir tout au long de ce ChallengeAZ 2020.
Les moulins à eau
Extrait de la publication « La vie très privée des meuniers de l’Indrois » rédigée par Catherine BAS-DUSSEAULX en 1993, complété par un acte notarié transmis par Jean-Pierre MINGOT, adhérent du CGDT
De leur invention à leur déclin, en passant par leur utilité et leur rôle économique de premier plan, quelque 4000 ans se sont écoulés.
Ce sont les Romains qui découvrent la meule tournante, 2000 ans avant J-C. Dans cette meule, il y a deux pierres : celle qui tourne et écrase le grain, la pierre tournante, et celle qui reste sur place, la pierre dormante.
Très vite cependant ils utilisent la force de l’eau et le moulin devient la première machine de l’homme. Le moulin le plus anciennement connu se trouvait, il y a plus de 2000 ans, dans le palais de Mithridate, roi du Pont.

En France, les moulins apparaissent à la fin du Vème siècle, sous le règne d’Alaric II, roi des Wisigoths (484-507) et Grégoire de Tours raconte que, vers 490, Saint Ours établit à Loches les premiers moulins mus par l’eau. Mais l’usage des moulins à bras (à force humaine ou animale) persistera longtemps, puisque PALLU, dans sa Coutume de 1661, note que les meuniers des moulins non banaux « ne peuvent avoir de meules à bras ».
Au Moyen Âge les moulins, jusqu’alors propriété collective des habitants, sont construits et monopolisés par les seigneurs ou le clergé. Ils deviennent alors un « équipement collectif soumis à une taxe d’usage » : c’est le « droit de banalité ». Chaque paysan, sous peine d’amende, doit y faire broyer son blé et ce droit persistera jusqu’en 1790.
La Coutume de Touraine de 1460 fixera les droits de banalité : le moulin banal doit avoir « eau perpétuelle » et ne doit être ni à vent, ni à bras, ni à cheval, ce qui explique le peu de moulins à vent en Touraine.

Lorsqu’un moulin était sur bateau, une querelle divisait les juristes : le moulin était-il un meuble, comme n’importe quel bateau (et donc pouvait-il être déplacé, vendu saisi comme tout meuble ?) ou au contraire, puisqu’il était installé à demeure, était-il un immeuble, auquel cas il bénéficiait des droits et réglementations concernant les immeubles sur terre ?
Il sera finalement décidé que « les moulins sur bateaux, établis librement pour la commodité publique, et sans que personne soit obligé d’y aller moudre, conservent leur qualité naturelle de meubles, quia sunt merae facultatis ; et qu’à l’égard des moulins banaux, comme ils sont jure perpetuae servitudinis, on les met au rang des immeubles ».
Ainsi donc, un moulin banal sera juridiquement un immeuble, qu’il soit sur bateaux ou dans un bâtiment sur la terre ferme. Il en résulte que l’on peut passer la banalité d’un moulin sur terre à un moulin sur bateaux et réciproquement, sans que celle-ci ne cesse de s’appliquer à un immeuble. Inversement, si la banalité est retirée à un moulin sur bateaux, celui-ci redeviendra meuble et pourra être déplacé, vendu ou détruit librement.
Le mécanisme du moulin à eau
Au XIème siècle apparaît l’arbre à cames, mû par la roue et qui permet d’actionner des pilons verticalement dans des mortiers, ou des marteaux ou foulons horizontalement dans des cuves.
Entre le XVIème et le XIXème siècles, diverses transformations améliorent l’efficacité des moulins : le fer et la fonte remplacent certaines parties des engrenages, à l’exception des dents en bois ou alluchons.
La roue, organe essentiel du moulin, peut être :
- verticale, à aubes et l’eau arrive en dessous, ou à godets et l’eau arrive en dessus ;
- horizontale (c’est le principe de la turbine) : dans ce cas l’eau arrive dessus, canalisée par un conduit.
Roue verticale à aubes Roue verticale à godets
L’ordonnance royale du 7 juillet 1824 réglemente le fonctionnement des moulins. Chacun d’entre eux doit comprendre un système hydraulique composé comme suit :
- un niveau réglementaire composé d’un glyphe sculpté dans une pierre, ou borne, qui indique la hauteur maximum des eaux, ceci dans le but d’éviter les fréquentes querelles entre meuniers.
- un déversoir pour les eaux ordinaires, dont la longueur égale la largeur de la rivière.
- un vannage de décharge pour les crues, dont le débit égale la largeur de la rivière.
Ainsi donc dans chaque moulin il y a :
- un système hydraulique réglementé par l’autorité administrative,
- l’architecture, qui relève du propriétaire,
- le mécanisme, son entretien ainsi que celui des berges – vannages et déversoirs, qui dépendent du meunier.

Lorsqu’un meunier fait des réparations ou des modifications, il doit en avertir l’administration, qui dresse un procès-verbal de « recolement » (vérification de la conformité de l’inventaire du moulin).
Découvrez l’acte notarié confié par Jean-Pierre MINGOT, adhérent du CGDT, où vous trouverez l’estimation des tournants et virants du moulin de la Boussière à Couesmes à la suite du changement de système dit « monté à l’anglaise ».
Les 798 moulins à eau de Touraine en 1809 ne sont plus que 12 en 1986.
Les moulins à vent
On trouve en Touraine trois sortes de moulins à vent :
Le moulin-tour
Nombreux autrefois, mais de nos jours sans ailes et souvent en ruines.

Le moulin-pivot
ou moulin-chandelier.
Construits en bois, reposant sur un socle également en bois, ces moulins ont complètement disparu de la Touraine où ils ont existé au XVIIIème siècle.
Beaucoup de ces moulins ont été démontés et reconstruits ailleurs suivant les déplacements des meuniers, ou ont brûlé.

Le moulin-cavier
Article de Monique GROUSSIN, trésorier du membre du Centre Généalogique de Touraine
Les moulins-caviers sont situés sur les coteaux dominant la Loire, à la confluence de la Loire et de la Vienne ou sur le sommet des vignobles du Bourgueillois et du Chinonais.
Cette région subit les vents forts de l’ouest et du nord qui soufflent à longueur d’année et cette partie de la Loire accueille des vents marins chauds circulant le long du fleuve qui leur sert de couloir, favorisant également jadis la remontée de la navigation à voiles des gabares faisant commerce, entre autres, avec les meuniers.
Il est plus aisé et moins coûteux de bâtir un moulin à vent qu’un moulin à eau. Moins de formalités administratives : le droit médiéval avait codifié le droit à eau, mais n’avait pas prévu le droit de vent. « Nul ne peut interdire à quiconque l’usage du vent » disait-on. Pourtant le juriste de l’époque arriva, en certaines régions, à inclure le vent et à en tirer profit.
Une cage en bois, la « hucherolle », érigée au sommet de la tour conique emprisonnant le pivot, supporte le mécanisme d’entrainement, ailes, engrenage communiquant l’énergie aux meules situées en bas dans la cave, par un arbre vertical traversant le pivot creux , en bois, autour duquel s’articule cette cage également en bois. Celle-ci, recouverte de « bardeaux » ou d’ardoises, porte à l’avant l’arbre soutenant les ailes.
La hucherolle est orientable face aux vents par un escalier d’accès qui sert de queue d’orientation, en même temps, et forme contrepoids par rapport aux ailes opposées.

Comme pour tous les moulins à vent, le cavier apparu dans nos régions depuis le XIIème siècle était équipé d’ailes dites à « râteaux », recouvertes de toiles puis, par la suite, équipées de planches mécanisées de type « Berton » du nom de son inventeur , à partir de 1850.
Le cavier est bien originaire de ce territoire particulier truffé de caves démontrant son origine troglodytique. Un moulin dont le meunier de cette région, qui était également vigneron, avait su concevoir l’utilité pour ces deux activités principales.
Adaptant sa technique au moulin-pivot d’origine recouvrant le territoire, le meunier-vigneron a su construire, dès le XIIIème siècle, un moulin semi-troglodytique, utilisant les caves de la région, permettant d’entretenir une certaine fraîcheur, évitant le risque d’échauffement et de feu menaçant les moulins de bois. Plus tard, la construction fut érigée au niveau du sol, utilisant la même structure cavique. Il est reconnu que la friction des meules entretient autour d’elles une chaleur diffuse qui, jointe à la poussière de la farine dégageant un gaz, peut amener, par une étincelle provoquée par le silex des meules, une combustion spontanée. Beaucoup de moulins de bois ont brûlé jadis pour cette raison.
De plus, sa structure cavique autorisait la préparation et la conservation du vin ; dans les salles avoisinant le blé, le stockage du vin, le pressoir et les mécanismes divers appropriés, côtoyant ceux du broyage des céréales.
La masse avait en outre l’avantage d’éviter au meunier de monter et descendre, les meules se trouvant en bas ; elle était conçue aussi pour absorber les vibrations parfois importantes des mécanismes lors de fortes bourrasques du vent.
Aujourd’hui, en Indre-et-Loire, certains caviers ne sont plus utilisés que par des viticulteurs, en lieu de caves où vieillit le vin en barriques, ou comme lieu d’habitation.
Sources illustrations :
– AD37 collection de cartes postales
– Bulletin Tome XLI 1986 de la Société Archéologique de Touraine
– Wikipedia
– Wiki-Séné.fr
– Magazine de la Touraine n° 10 avril 1984
Très bel article, très intéressant.
Une bonne entrée en matière pour ce Challenge AZ consacré aux moulins. Hâte de lire la suite.
Riche introduction à une étude sur les moulins de nos communes d’Indre et Loire.
Parmi les exemples de moulins à vent, citons le moulins des Aigremonts à Bléré, qui après reconstruction est visitable et illustre parfaitement le texte de ce document.
Très intéressant mais vous allez dire que j’exagère …. lesquels et en 2020 ?
MERCI pour cette bonne lecture ….Les 798 moulins à eau de Touraine en 1809 ne sont plus que 12 en 1986…..
Merci pour ces précisions. J’ai des ancêtres meuniers à Liverdun.
Article passionnant et très complet. J’ai un de mes ancêtre qui possédaIt un moulin à eau sur la Dordogne et j’ai bien noté les précisions que vous apportez.
Très intéressant effectivement, et bien documenté. Tout est maintenant clair pour moi, à propos de ces moulins ; je rejoins l’un des commentaires : sait-on où sont les 12 moulins restant, de Touraine ?