
Articles de Monique GROUSSIN, Trésorière du Centre Généalogique de Touraine.
Voici l’histoire de deux moulins-caviers,
l’un à Bourgueil et l’autre à Beaumont-en-Véron.
Le « Moulin Bleu »
ou moulin de Bel-Air, moulin de la Lande, moulin du Peu
Ce moulin à vent-cavier est érigé rive droite de la Loire, adossé à la forêt et dominant les vignobles de Bourgueil qui s’étendent à ses pieds vers la Loire. Situé sur le coteau, à 123 m d’altitude, on a de là-haut par temps clair un horizon s’étendant des tours du château de Langeais, à gauche, à la ville de Saumur et son château, à droite.

Sur ce site, ils étaient deux à l’origine, moulins à blé construits au XVIIème siècle par les abbés de l’abbaye de Bourgueil. Ils n’ont servi que peu de temps, les moulins à eau de la rivière du Changeon leur étant préférés, plus accessibles et réguliers pour les habitants de la vallée.
Le moulin est formé d’une masse de terre en forme de « motte », recouverte d’herbe, sans mur ni contrefort, recouvrant la salle des meules et une pièce adjacente avec cheminée voûtées toutes les deux. La tour conique émergeant de la masse soutient la hucherolle équipée de ses ailes à râteau où l’on accrochait la toile et son échelle, indispensable queue d’orientation de tous les moulins-caviers. A l’intérieur un bâti en charpente maintenait l’axe du mécanisme des meules.
Ce moulin a connu diverses appellations à travers l’histoire, « moulin de Bel-Air», « moulin de la Lande », « moulin du Peu », mais il est plus connu sous le nom de « Moulin Bleu ». Jadis les caviers étaient tous peints, et celui-ci affichait les idées républicaines du meunier à la Révolution quand il prit cette couleur (en effet René ROGEREAU, le père du meunier, a disparu dans la Vendée à la déroute de Gozon).

Vers 1850, ils retrouvent un peu de vie : les meuniers, propriétaires de leurs moulins après la Révolution, avaient fait l’effort de les moderniser, remplaçant les ailes de toile par des ailes en planches mécanisées, selon la découverte récente de leur inventeur l’ingénieur BERTON. Hélas, vers 1870, au cours d’une tempête, l’un des moulins s’emballa et s’écrasa au sol. On raconte que le garçon meunier de l’époque, amoureux d’une fille de « Chevrette », hameau voisin, était parti lui faire sa cour en oubliant de bloquer le mécanisme de fermeture des ailes. Il aurait dû, comme le veut l’usage, laisser son âne attaché à l’échelle de la hucherolle : il est de réputation qu’un âne n’aimant pas avoir du vent dans les oreilles, il se serait mis à l’abri en entraînant de ce fait les ailes du moulin hors de l’action du vent.

Le dernier moulin restant, celui d’aujourd’hui, en changeant de maîtres, de la famille de meuniers ROGEREAU à la famille de tanneurs MAURICE, changea aussi d’emploi. Le nouveau propriétaire installa un nouveau type de meules et le moulin passa du broyage de céréales au broyage de l’écorce de chênes et de châtaigniers, afin d’en extraire le tan ou tannin destiné aux tanneries de Bourgueil et de ses environs.
Ce n’était qu’un sursaut de vie : il s’arrêta définitivement en 1880.
Laissé à l’abandon, il fut restauré dans les années 1933-1935 par la famille PLAS-HERISSÉ mais ne conserva pas, hélas, ses mécanismes intérieurs qui furent démontés. On suppose qu’ils étaient composés d’une meule verticale tournant dans sa cuvette en pierre, pour écraser les écorces de châtaigniers.
Lors de la dernière Guerre mondiale, les Allemands utilisèrent la plateforme de la terrasse pour une batterie de DCA ; pour ce faire, ils coulèrent une dalle en béton sur la voûte.
Jusqu’en 1982 le moulin était toujours équipé de ses ailes à planches fermées, très détériorées, et de sa hucherolle consolidée par échafaudage.

Les nouveaux propriétaires, la famille BRETON-COIRIER, conscients de sa valeur architecturale, firent l’effort de mener une restauration extérieure harmonieuse. La hucherolle réparée fut remise en place en 1983, retrouvant des ailes à toiles comme à l’origine.
Chantal et Michel BRETON, propriétaires actuels descendants de la famille BRETON-COIRIER, poursuivent la restauration du « Moulin Bleu » : en 2009 le moulin a retrouvé quatre ailes neuves à barreaux, réalisées par les charpentiers BOUSSIQUET de Chinon.
Le moulin est devenu une halte où le voyageur trouve le couvert avec sa nourriture arrosée d’un Bourgueil dans la salle voûtée du moulin ou à la belle saison sur la terrasse, lieu où naguère les charrettes apportaient le grain.
Le Moulin Bleu est inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques par arrêté du 24 mai 1974.
Sources :
AD19 – 37 et 49 – Le Magazine de la Touraine
Documents confiés par M. Michel BRETON, actuel propriétaire
Les familles du moulin
La famille ROGEREAU de 1810 à 1872
René ROGEREAU, meunier à vent comme indiqué sur son acte de mariage, est né le 7 juillet 1786 à Jumelles (Maine-et-Loire). Il est le fils de René ROGEREAU, décédé entre 1793 et 1795 en Vendée à la déroute de Gozon, et d’Anne TALLUAU.
Il épouse le 11 novembre 1811 Anne BRUNEAU, couturière née le 9 octobre 1787 à Bourgueil ; elle est la fille de Pierre BRUNEAU et de Marguerite BOUCHER.
La mère de René ROGEREAU, Anne TALLUAU, ainsi que sa jeune sœur Marie-Louise le rejoindront au moulin de « Bel-Air ».
Il décèdera à l’hospice de Bourgueil le 24 novembre 1835.
Les enfants de René et d’Anne BRUNEAU naissent au moulin dit « moulin du Peu » :
- Anne Marie, née le 10 novembre 1812 (elle décède à l’âge de 6 ans le 12 octobre 1819).
- Angélique Renée, née le 11 avril 1814 (décède le 30 septembre 1870 à Benais).
- René, né le 15 février 1816 (décède à l’âge de 2 mois le 14 mai 1816).
- René Bault, né le 24 février 1817 (décède le 2 juin 1873).
- Etienne, né le 14 mai 1819 (tonnelier, mais travaille également au moulin).
- Rosalie Marie, née le 12 décembre 1827 (décède le 1er janvier 1916 à Bourgueil).
C’est le 4ème enfant, René BAULT, qui reprend le travail au moulin. Il épouse le 12 janvier 1841 à Distré (Maine-et-Loire) Anne DUBRAY, née le 5 frimaire an V (25 novembre 1796) à Rou (Maine-et-Loire), cultivatrice et fille de Laurent DUBRAY et d’Anne DEROUET.
Étienne, son frère cadet qui est tonnelier, travaille également au moulin. Il a épousé le 15 février 1865, à Saint-Nicolas-de-Bourgueil, Jeanne TAVEAU qui demeure au lieu-dit « Chevrette ».
L’épouse de René BAULT décède le 14 mars 1872 ; il vend alors le moulin de Bel-Air à Monsieur Pierre MAURICE et son épouse, Madame Julie GASNIER ; la vente est enregistrée chez Maître HERVÉ, notaire à Bourgueil.

René BAULT décède à l’hospice de Bourgueil le 2 juin 1873. Son frère Étienne décède 3 mois plus tard, le 6 septembre, à Saint-Nicolas-de-Bourgueil au lieu-dit- « Chevrette ».
La famille MAURICE-ROULLEAU-PAIRAULT de 1872 à 1933
Pierre MAURICE, tanneur, est né le 30 mai 1815 à Bourgueil. Il est le fils de Pierre MAURICE, né le 1er février 1782 à Villebernier (Maine-et-Loire) et décédé le 8 janvier 1847 à Bourgueil, et de Magdelaine GALLÉ, née le 6 juillet 1789 à Chouzé.
(Pierre MAURICE est témoin sur l’acte de décès de René ROGEREAU le 24 novembre 1835).
Il épouse le 1er mai 1850 à Bourgueil Julie GASNIER lingère, née le 4 février 1824 à Bourgueil : elle est la fille de François GASNIER et de Françoise RIBOT.
Pierre MAURICE et Julie GASNIER achètent le moulin de Bel-Air le 30 juin 1872, au terme d’un acte reçu par Maître HERVÉ notaire à Bourgueil.
Pierre MAURICE, nouveau propriétaire du moulin de Bel-Air, est tanneur. Il installe un nouveau type de meule et le moulin passe du broyage de céréales au broyage de l’écorce de chênes et de châtaigniers, afin d’en extraire le tan (ou tannin) destiné aux tanneries de Bourgueil et de ses environs.
Il décède le 29 mars 1881 à Bourgueil au moulin de Bel-Air.
Leur fils Jules MAURICE, tanneur négociant, né le 11 décembre 1858 à Bourgueil, poursuit l’activité de son père et hérite du domaine à la suite du décès de ses parents.
Il épouse le 23 juillet 1884 à Cinq-Mars-La-Pile Marie Eugénie Hélène ROULLEAU, fille d’Eugène Léonard ROULLEAU et d’Anne Clémence BOYER.
De leur union naissent :
- Jules Henri Paul le 13 février 1889 à Bourgueil (il décède à l’âge de 4 ans le 2 février 1894).
- Pierre Eugène Georges le 9 septembre 1891 à Bourgueil (il décède à l’âge de 3 ans le 12 octobre 1894).
Le père des enfants, Jules MAURICE, décède le 11 juillet 1892 à Bourgueil à l’âge de 33 ans.
Marie Eugénie ROULLEAU, veuve, épouse en secondes noces le 13 mars 1895 à Bourgueil Élie PAIRAULT, né le 18 décembre 1856 à Thorigné (Deux-Sèvres). Élie PAIRAULT est veuf de Séraphine Françoise VILLERONDE née le 29 décembre 1856 et décédée le 23 mars 1894 à Bourgueil. De cette union naît, le 12 juin 1890 à Bourgueil, Suzanne Yvonne Séraphine PAIRAULT.
Sans descendant, les biens de Jules MAURICE deviennent les biens du couple Élie PAIRAULT et de Marie Eugénie ROULLEAU.
Le 30 novembre 1921, Marie Eugénie ROULLEAU adopte la fille de son second mari, Suzanne Yvonne Séraphine PAIRAULT.
La propriété est vendue par Monsieur et Madame PAIRAULT le 13 juillet 1933 par l’étude de Maître Louis SIMONET, notaire à Bourgueil, à la famille PLAS – HÉRISSÉ.

La famille PLAS-HÉRISSÉ de 1933 jusqu’au début des années 70
Maurice Fernand PLAS, docteur en pharmacie, naît le 4 décembre 1901 à Vigeois (Corrèze) ; il est le fils de Maurice Armand Amédé PLAS, pharmacien né le 17 août 1861 à Beaumont (Corrèze), et de Marie Aimée BRUNERYE née le 7 septembre 1866 à Treignac (Corrèze).
Il épouse, le 26 juin 1927 à Bourgueil, Lucienne Marie Louise HÉRISSÉ, pharmacienne, née le 18 mai 1899 à Bourgueil ; elle est la fille de Lucien Louis Joseph HÉRISSÉ, instituteur né le 26 juillet 1876 à Monts-sur-Guesnes (Vienne), et de Marie Louise RETIF née le 5 mai 1880 à Bourgueil.
Maurice Fernand PLAS et Lucienne Marie Louise HÉRISSÉ achètent la propriété située au lieu-dit « le Moulin de Bel-Air », commune de Bourgueil, le 13 juillet 1933 à l’étude de Maître Louis SIMONET, notaire à Bourgueil.
Description de la propriété :
Une maison d’habitation en ruine, comprenant trois chambres à feu, cellier et pièce froide derrière et au nord ; au levant trois écuries et chambre au-dessus de l’une des écuries, grenier au-dessus des autres constructions.
Au levant : ancien moulin à vent en ruines comprenant une grande pièce froide, une autre pièce à feu, un cellier.
Cour et jardin en friche au midi des bâtiments fontaine et puits.
La famille BRETON-COIRIER
La famille BRETON-COIRIER achète cette propriété au début des années soixante-dix.
Michel BRETON, descendant de la famille BRETON-COIRIER, en est le propriétaire actuel avec son épouse Chantal.
Le moulin avec sa terrasse surplombant le vignoble de Bourgueil est actuellement une halte gastronomique.

Sources :
– AD79, base de données CGDT
– « Les Moulins de Touraine » de G-H. Penet
Le moulin Cruchon de Beaumont-en-Véron
Sur les hauteurs de Chinon dans les vignes, jadis de nombreux moulins-caviers disparus ont donné leur nom à un quartier nouveau de constructions récentes, édifiées sur l’emplacement des anciens moulins : « les Hucherolles ». Le vent qui les faisait vivre emporte loin et efface le souvenir des habitants d’aujourd’hui.
Le moulin Cruchon

Nom encore Rabelaisien, à Beaumont-en Véron ce moulin-cavier, érigé sur le coteau truffé de caves et d’habitations troglodytiques, était une belle construction vers 1881 très connue des collectionneurs de vieilles cartes postales. Il est le seul debout, sans ailes, sur ses proches voisins réduits en tas de pierre : le moulin du Puy de la Bâte, le Puy du Prieur, Beau Puy (le mot puy désignant, ici une éminence). L’intérieur, au centre, est de construction cylindrique à la base, puis vient l’amorce de la coupole sur le montant de la chambre des meules, éclairée par quatre fenêtres à la hauteur de la tour conique émergeant de la masse ; la voûte d’entrée se raccorde à la base cylindrique du « massereau » (tour conique qui supportait la hucherolle disparue) par une sorte d’arc très élégant.
Il n’y a plus ni meule ni mécanisme : le dernier meunier y mit le feu pour détruire un nid de frelon ! Celui-ci brûla toute la partie de bois, hucherolle et ailes comprises, et réduisit le moulin à l’état de ruine.

La famille JUSSEAUME
François JUSSEAUME est né vers 1728 à la Chapelle-sur-Loire (Indre-et-Loire). Il est le fils de François JUSSEAUME et d’Anne GALLÉ. Il exerce la profession d’huilier et de cultivateur.
Il épouse à la Chapelle-sur-Loire, le mercredi 1er juillet 1767, Anne TESSONNEAU née vers 1740 : elle est la fille de Sébastien TESSONNEAU et de Marie NION.
Leur premier fils, François JUSSEAUME, naît vers 1767 à la Chapelle-sur-Loire. Il exerce aussi la profession d’huilier et épouse, le 24 janvier 1792 à Beaumont-en-Véron, Marie JAMET née vers 1770, fille de Pierre JAMET et de Louise PARFAIT.
Leur fils Jean JUSSEAUME naît, selon le calendrier républicain, le jour du « safran » le 2 vendémiaire an VI (samedi 23 septembre 1797) à Beaumont-en-Véron. Meunier au moulin du Cruchon il épouse? le 10 juin 1822? Louise ANGIBERT née le 21 floréal an VIII (dimanche 11 mai 1800) au moulin de Cruchon, meunière avec son père à ce moulin. Elle est la fille d’Eustache ANGIBERT meunier au moulin du Cruchon et de Louise BOYER.
Leur fils Jean JUSSEAUME naît le lundi 1er juin 1840 au moulin du Cruchon. Meunier vigneron, il épouse le 24 novembre 1862 Anne JAMET, née le 20 janvier 1844 à Beaumont-en-Véron, fille de Jean JAMET vigneron et d’Anne THIBAULT.
Sur le recensement de 1856 Jean JUSSEAUME et ses parents, Jean JUSSEAUME et Louise ANGIBERT, sont déclarés « boiteux ».
Leur fils, Joseph JUSSEAUME, naît le mercredi 20 septembre 1876 au moulin de Cruchon. Meunier, il épouse le 5 octobre 1902 à Beaumont-en-Véron Marie Louise JUET, née le 12 mai 1885 à Savigny-en-Véron, fille de Jean JUET et de Louise LOISEAU.

Joseph JUSSEAUME
Joseph JUSSEAUME est décrit sur son signalement militaire comme mesurant 1,69 m, avec les cheveux et sourcils bruns et les yeux roux, le front ordinaire, le nez aquilin, la bouche moyenne, le menton rond, et le visage ovale. Son degré d’instruction est relevé de niveau 3.

Arrivé au corps soldat du 131ème Régiment d’Infanterie de Ligne (Châtellerault) le 13 novembre 1897. Soldat de 2ème classe matricule 1167, il est envoyé en congé le 17 juillet 1898, soutien de famille. Certificat de bonne conduite accordé.
Il accomplit une première période d’exercice en août-septembre 1903 au 32ème Régiment d’Infanterie et une seconde période en août-septembre 1906.

Rappelé à l’activité par le décret de mobilisation du 1er août 1914, arrivé au corps du 69ème Régiment d’Infanterie le 7 août, il est blessé le 24 juin 1916 par un éclat d’obus allemand (plaie au cuir chevelu) à la Fontaine-les-Cappy dans la Somme.
Il est nommé soldat de 1ère Classe le 27 juin 1916.

(oeuvre de Victor Prouvé 1858-1943 Musée des Armées)
Il est cité à l’ordre de la Brigade n° 45 le 19 août 1916 « Excellent soldat et très brave, l’a prouvé pendant les opérations de ravitaillement de la 1ère ligne en juillet 1916, a été blessé et a repris avec entrain son service dès qu’il a pu ».
Évacué malade le 21 novembre 1918, il part en congé illimité le 19 février 1919.
Sources :
– Archives départementales de la Vienne

Bravo !