C comme Candé les pieds dans l’eau

Article de Stéphanie HÉMON
administratrice du
Centre Généalogique de Touraine

Le domaine de Candé est classé Espace Naturel Sensible (ENS) depuis 2004(1).

Candé possède une importante diversité floristique et faunistique
(orchidées sauvages, chênes têtard, cèdre du Liban, ginkgo biloba, sequoia, salamandre, huppe fasciée, héron, chevreuil, sanglier, écureuil, paon de nuit, agrion de Mercure…)
et des milieux naturels variés (zones humides, prairies, clairières, bois, futaie…).

Cet écosystème a été préservé au fil des siècles, malgré les différents propriétaires et leurs activités(2).

Dans cet écosystème, l’eau tient une place prépondérante. En effet, le domaine est parcouru par un ruisseau (le Saint-Laurent), deux rus (la Piole et le Peu), constitué d’une zone humide (marais), plusieurs sources (au moins trois), deux étangs artificiels, aménagé d’un lavoir, d’une station de pompage, de quatre châteaux d’eau et, aujourd’hui disparus, d’un miroir d’eau et de cascades artificielles décorant le jardin d’agrément.

AD37 – miroir d’eau

Le Saint-Laurent prend sa source à Chambray-lès-Tours, au lieu-dit la Papoterie(4). Il coule sur 9,89 km dont 800 m sur le domaine de Candé, avant de se jeter dans l’Indre à Monts, aux pieds au viaduc(5). Si aujourd’hui, la confluence du Saint-Laurent et de l’Indre ne se situe plus sur les terres de Candé, il n’en était pas de même à l’époque de François Briçonnet ( ?-1504), maire de Tours et propriétaire de Candé entre 1499 et 1504. En effet, la terre de Candé s’étendait au-delà de l’Indre, jusqu’aux moulins du Ripault. Vendus en 1770 après avoir été détruits par une crue de l’Indre, les moulins ont été transformés en tréfilerie, puis le lieu est devenu Poudrerie nationale du Ripault (1786) et CEA (1961). Il est probable que le site de Candé était un lieu stratégique, dès l’époque gallo-romaine, de par sa situation sur un éperon rocheux et près de la rivière. L’étymologie même du nom Candé, Condatum en latin puis Candeyum signifiant confluence, reflète l’importance donnée à cette spécificité géographique(6).

Dans les années 1850, les eaux du Saint-Laurent sont endiguées pour permettre la création d’un grand étang de 3,5 hectares.





Dans les années 1930, les BEDAUX aménagent ce dernier pour en faire un lieu de baignade, apprécié de leurs invités.

On peut encore apercevoir les échelles et les supports pour les plongeoirs (aujourd’hui, la baignade est strictement interdite).

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Probablement à la même époque que la création du grand étang, Santiago Drake del CASTILLO entreprend la construction d’un lavoir et l’édification d’une « machine hydraulique » (1855). Il semble que ce premier lavoir ait été remplacé par un nouveau bâtiment, vers 1874 et/ou 1887(8).

Construit sur les rives du Saint-Laurent, le lavoir actuel se compose de deux vannes qui permettent l’alimentation en eau claire. La vanne centrale permet d’évacuer l’eau boueuse lors des crues, par un canal passant sous le bassin du lavoir. A l’intérieur de l’édifice, une cheminée permettait aux lavandières de se réchauffer pendant les frimas de l’hiver(7).

Il ne semble pas qu’il y ait de lingère attitrée à Candé. Peut-être que Louise Picou, lingère d’après le recensement de 1891, fille du cocher de Jacques Drake, travaillait à Candé ?

(cliquer sur la généalogie pour l’agrandir)

Quant à la station de pompage, appelée « machine hydraulique » sur le plan de nivellement de 1864 (document Archives départementales), elle était destinée à capter les eaux de la Piole et les redistribuer sur tout le domaine, grâce à trois réservoirs (châteaux d’eau) qui desservaient le château et le potager, le jardin d’agrément et la ferme de la Haute Métairie. La machine hydraulique se compose de trois bâtiments. L’édifice principal renferme le mécanisme de pompage, constitué d’une roue à augets (environ 5 tours/mn) et d’une pompe de refoulement en fonte, installée par Brault et Fontaine de Chartres, qui aspire et refoule l’eau vers un réservoir situé sous l’une des deux annexes. En 1927, des motopompes Rateau, installées dans l’annexe Nord, prennent le relais de la pompe de 1858.

(non accessible au public)

Il ne semble pas y avoir de trace de la station de pompage dans les documents d’archives (matrices cadastrales, dossier de moulin). Selon les archivistes des Archives départementales d’Indre-et-Loire, cela pourrait s’expliquer par le fait que Santiago Drake del CASTILLO ne l’aurait pas déclarée et que les habitants de Monts auraient « laissé faire », au vu des bienfaits prodigués par le propriétaire de Candé. De plus, l’endiguement du Saint-Laurent a certainement eu plus d’impact au niveau du débit du ruisseau que le bief aménagé sur la Piole.

La machine hydraulique permettait donc d’amener l’eau naturellement présente sur le domaine là où le propriétaire le souhaitait et donc de repenser l’aménagement des lieux.


Ainsi, le potager est déplacé derrière les nouveaux communs (parcelle 115), tandis que le jardin à la française, originellement placé au bord de la route (parcelle 116), est transformé en jardin d’agrément à l’anglaise avec cascades artificielles et faux enrochements et ramené aux abords du château.

De plus, le château est en partie desservi en eau courante.

Le système d’adduction de l’eau sera modernisé par les BEDAUX, permettant l’acheminement de l’eau courante à tous les étages du château (jusqu’alors, la pression n’était pas suffisante) et la création d’une salle de bains dans chaque chambre. Même les domestiques avaient une salle de bains commune, avec eau chaude et eau froide, douche et baignoire, ainsi que le chauffage.

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Comme tous les bâtiments fonctionnels, ils sont construits en briques fabriquées dans la briqueterie de Candé(9).

Château d’eau du jardin d’agrément
Réservoir du château et du potager

Un quatrième réservoir est édifié en 1929, à la demande des BEDAUX, sur les plans de l’architecte des Monuments historiques du Loir-et-Cher Henri LAFARGUE, pour arroser le golf dix-huit trous de quinze hectares nouvellement aménagé près de la Mauclergerie(10) et équipé d’un système d’arrosage indépendant et sophistiqué.

De style Hennebique (béton armé), il n’a plus rien à voir, esthétiquement, avec les châteaux d’eau du XIXème siècle du domaine.

Le parcours de golf est conçu par la société britannique de renommée internationale, Colt et Alison, sur les plans de Charles Bedaux lui-même. « Compact », le parcours pouvait être effectué en deux heures mais certaines distances du green au départ suivant étant longues, il permettait de satisfaire les amateurs de marche. Une dizaine d’employés en assurait la maintenance. Aujourd’hui, le golf n’existe plus.

Le plan des pompes, alimentations et refoulements (archives privées non communicables, droits réservés), dessiné en 1929 par l’entreprise Maurice et Martet, de Tours, indique que les motopompes Rateau puisaient l’eau dans un puits, situé entre les deux annexes de la station de pompage et directement alimenté par la retenue du moulin. Ainsi, la machine hydraulique de Santiago Drake del CASTILLO est « court-circuitée » et perd peu à peu de son utilité. C’est à cette même société Maurice et Martet que l’on doit les plans du système d’arrosage du golf.

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Parallèlement à la construction de la station de pompage, Santiago Drake del CASTILLO installe un système de drainage et d’irrigation, fait de canalisations en terre cuite, qui permet l’acheminement de l’eau jusqu’aux terres cultivées et son évacuation des zones trop humides. Il peut ainsi développer le vignoble, qui jusqu’alor, était modeste et produisait un vin de qualité moyenne. Les documents d’archives nous en donne la mesure. En 1791, il est dit : « la terre de Candé située paroisse de Monts dans le district de Tours du département d’Indre-et-Loire consistant dans un château qui domine sur la rivière d’Indre, formant un pavillon quarré composé de plusieurs appartements, maisons (?), écuries, pressoir garny de ses ustensiles avec deux cuves de différentes grandeurs, chappelle, fuye […] Plus six arpents de vignes dans un même enclos renfermé par des hayes vives et fossez dont environ un arpent en mauvaise production et qu’il convient replanter[…] » (acte de vente De La Chèze/Pouget de Monsoudun, AD37, 3E4/498).
Un article de 1860 fait état des nouveaux aménagements : « L’étendue totale des terrains drainés est de 50 hectares environ, sur lesquels…14 hectares en vigne ». Santiago a donc triplé le vignoble de Candé.

Santiago remporte plusieurs prix, gagnant une médaille de vermeil « pour son drainage dans ses terres et son vignoble », et une médaille d’or pour la bonne tenue de son vignoble(11). Fort de son succès, il construit, en 1866, un chai(12). Son fils, Jacques, poursuit le développement du domaine viticole et de la production vinicole. Un article du journal Le Tourangeau en 1891, fournit un état détaillé du vignoble de Candé : celui-ci « comprend deux clos d’une contenance totale de 59 hectares 57 ares. Le clos de Candé, aux abords du château, comprend 44 hectares (…). Le clos de la Liodière comprenant 15 hectares 57 ares ». Ainsi, le vignoble passe de 14 hectares à près de 60 hectares en quelques décennies.

Malgré les nombreux aménagements, le Saint-Laurent conserve, en amont de l’étang, son aspect originel. Ainsi, le marais, de presque deux hectares, est ennoyé une partie de l’année. Sur le parcours du Saint-Laurent, à la Fontaine des houx sourd une source. Peut-être est-ce celle que, selon la légende, Saint Martin est venue bénir ? À moins que cette bénédiction n’ait eu lieu à la Fontaine Saint-Martin…

AD37 – plan cadastral Monts section C1 – 6NUM10/159/007


Les bulles visibles sur la photo de droite sont-elles la preuve de la présence d’une source immergée ?

ou la manifestation de la vie aquatique ?

Deux autres sources sourdent sur le domaine et alimentent la Piole, que l’on peut traverser par le pont dit « de Sainte-Hélène ». Ce nom a été choisi par Santiago Drake del CASTILLO , en hommage au beau-père de sa seconde femme (Claire SPITZ) général de Napoléon. Cette tradition perdure jusqu’à notre époque puisqu’aujourd’hui, on peut apercevoir un autre pont.

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Un autre toponyme, le Moulin couché, fait référence à l’eau, mais aujourd’hui il ne reste rien du moulin indiqué sur la carte Cassini.

Il semble que ce moulin ait déjà perdu sa fonction au début du XIXème siècle puisque le cadastre de 1823 n’en fait pas mention, que ce soit sur le plan napoléonien ou dans les états de sections qui confirment que les bâtiments sont bien des habitations et non un moulin. De même, les recensements de 1841 attestent de la présence de vignerons et journaliers à cet endroit, mais pas de meunier.

Dans la section C1 du cadastre du Monts, on peut même trouver le nom d’un des habitants du Moulin couché, MAUDUIT, que l’on retrouve dans les matrices et dans les recensements jusqu’en 1851(13).


Pour aller plus loin…

(1) Les ENS sont institués par la loi 76.1285 du 31 décembre 1976, et précisés par la jurisprudence du tribunal de Besançon. Ainsi, l’ENS est un espace « dont le caractère naturel est menacé et rendu vulnérable, actuellement ou potentiellement, soit en raison de la pression urbaine ou du développement des activités économiques ou de loisirs, soit en raison d’un intérêt particulier eu égard à la qualité du site ou aux caractéristiques des espèces végétales ou animales qui s’y trouvent ».

(2) Arrêté fixant la réglementation sur l’espace naturel sensible du domaine de Candé : https://espacesnaturels.touraine.fr/files/touraine-ens/medias/pdf/2025_Cande_Reglement.pdf

(3) Code Sandre (Service d’administration nationale des données et référentiels sur l’eau) : FRGR2165.

(4) De la Papoterie, le ruisseau coule en direction du Sud-Ouest, traverse La Charpraie, chemine entre les fermes de La Florière et de La Brissonnière, avant de traverser le lac artificiel de Chambray-lès-Tours. Il s’encaisse légèrement dans le secteur de La Petite Madelaine, puis alimente les étangs de Sainte-Appoline. Il passe ensuite par les communes de Veigné et Montbazon, avant d’arriver à Candé.
Dans les années 50/60, son cours a été largement artificialisé pour passer sous les routes, le périphérique, l’autoroute et permettre le passage du TGV. Depuis quelques années, de grands travaux de réaménagement visent à lui redonner son lit naturel et renaturaliser son cours.
Voir à ce sujet, https://www.savi37.fr/wp-content/uploads/2024/09/Diaporama_Charpraie_Vdeux.pdf, et aussi https://www.lanouvellerepublique.fr/indre-et-loire/commune/chambray-les-tours/travaux-sur-le-saint-laurent

(5) Le viaduc a été construit entre 1845 et 1848, pour permettre le passage de la ligne ferroviaire Paris-Bordeaux au-dessus de la vallée de l’Indre. Cette ligne est toujours en fonctionnement.

(6) Aucune étude archéologique n’ayant été menée, cela reste cependant une hypothèse d’autant que les textes n’évoquent Candé qu’à partir au IXème siècle.

(7) « Au lavoir, on lave le linge et on salit les gens ». En réalité, le linge n’était jamais lavé au lavoir mais à la maison et c’est au lavoir qu’il était battu, rincé, essoré, séché, quels que soient la saison, le temps ou la température.
Suite aux nombreuses épidémies (choléra, variole et typhoïde) et au développement du courant hygiéniste, le Parlement de la IIème République vote la loi du 3 février 1851 qui ouvre un crédit spécial de 600 000 francs destiné à subventionner à hauteur de 30 % la construction des lavoirs :

« Article 1er. Il est ouvert au ministère de l’Agriculture et du Commerce, sur l’exercice 1851, un crédit extraordinaire de six cent mille francs (600 000 fr.), pour encourager, dans des communes qui en feront la demande, la création d’établissements modèles pour bains et lavoirs publics gratuits ou à prix réduits. »

(8) Attention, contrairement à ce qui est noté dans les matrices cadastrales (photo dans le corps de texte), le Moulin couché ne se situe pas en section D mais en sections A et C. De plus, la parcelle A1195 correspond à la maison située au Moulin couché, or le lavoir actuel prend place de l’autre côté de la parcelle, en section C (C9 ou C10).

(9) A partir de 1881, deux tuiliers sont recensés à Candé : Joseph MARCHAND, 37 ans, et Paul GATIEN, 13 ans, probablement son apprenti (AD37, recensement Monts, 1881, 6NUM5/159/010, vue 33). Aujourd’hui, la briqueterie est totalement ruinée.

(10) Le Registre de visite des chapelles du diocèse de Tours (1787) mentionne la présence d’une chapelle à la Mauclergerie. Le toponyme viendrait d’ailleurs de ce statut religieux puisqu’il ferait référence à un mauvais clerc. Aujourd’hui, la Mauclergerie est en état de ruines (il ne reste que les murs) mais, en 1974, le pavillon du XVIIIème siècle est mis à l’honneur par le réalisateur Alain Boudet, qui y tourne une grande partie de son film, Une Ténébreuse affaire. Adieu (1982), de Pierre Badel, est également tourné en partie à la Mauclergerie.

(11) Sources : Annales de la Société d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles Lettres d’Indre-et-Loire, t. XXXVIII, 1858-1860, p.101, et Bulletin de la Société d’agriculture, sciences, arts et belles lettres d’Indre-et-Loire (1864).

(12) Les chais sont situés à l’Ouest de la ferme de la Haute Métairie. La date « 1866 » est inscrite sur la façade nord. L’architecte est sans doute Jacques-Aimé MEFFRE. D’une superficie d’environ 1000 m², ils sont construits sur le modèle du chai à étage du Médoc, conçu pour optimiser les étapes de la vinification. Les chais ont été bâtis en deux campagnes : celle de 1866 concerne la cave et le bâtiment principal ; la deuxième campagne est réalisée par Jacques Drake à partir de 1874 (pressoirs et probablement remise).

(13) D’après les matrices cadastrales, Pierre MAUDUIT (case 422) vend sa maison du Moulin couché vers 1854/55 à Jean LOYON (case 788)? qui lui-même vend vers 1859/60 à Martin VILATE (case 256), qui vend à Santiago Drake del CASTILLO (case 545) vers 1860/61.

Illustrations : sauf mention spécifique, photographies personnelles.

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DELAHAYE Charles-Henri
DELAHAYE Charles-Henri
13 jours plus tôt

Article passionnant, et remarquablement documenté !