B comme BAREAU, passagers sur la Creuse

Article rédigé par Patricia PILLORGER
du Centre Généalogique de Touraine

Sous l’Ancien Régime, le passager ou passagé est celui qui aide, à passer au-delà d’un cours d’eau, à traverser une rivière, dans un bac ou un bateau. Le passager assure le transport de personnes, de bétail et de marchandises, lien social et économique entre la rive droite et la rive gauche. L’activité de passager n’était pas son unique ressource, il était fréquent qu’il exerçât également celle de fermier ou de marchand. Les intempéries (crues, gels) pouvaient rendre le cours d’eau impraticable ou endommager le port pour plusieurs semaines voire plusieurs mois, impactant la communication au sein de la paroisse et les échanges liés à l’activité économique.

La Creuse prend sa source sur le plateau des Millevaches dans le Massif central. D’une longueur de 263 km et d’une largeur moyenne de 95 m, la rivière est un affluent de la Vienne et un sous-affluent de la Loire.
Après un passage en Limousin et en Berry, elle entre en Touraine par son extrémité sud et continue jusqu’à son confluent avec la Vienne, le Bec-des-Deux-Eaux. Elle traverse Tournon-Saint-Pierre, Yzeures-sur-Creuse et poursuit son chemin en laissant sur sa rive droite Chambon, Barrou, La Guerche, Abilly, Descartes, la Celle-Saint-Avant, Nouâtre, Ports-sur-Vienne et sur sa rive gauche La Roche-Posay, Lésigny, Mairé, Leugny, Saint-Rémy-sur-Creuse, Buxeuil, Les Ormes, Port-de-Piles.

La Guerche : la Creuse en amont du pont
La Creuse dans l’ancienne Touraine

En 1790, lors de la création des départements, la Creuse devient la limite du département d’Indre-et-Loire et les paroisses de Touraine situées sur sa rive gauche sont désormais des communes du département de la Vienne.
En 1796, l’Administration réaffecte par transaction plusieurs hameaux dépendant des anciennes paroisses, situés sur la rive opposée de leur commune. Il en est ainsi pour Abilly et Leugny, Abilly et Saint-Rémy-sur-Creuse, La Guerche et Leugny.

Les BAREAU

Dans le sud-est de la Touraine, le long de la Creuse, de Saint-Remy à Lésigny en passant par Leugny et Mairé sur sa rive gauche, d’Abilly à Barrou en passant par la Guerche sur sa rive droite, les BAREAU[1], passagers sur la Creuse, sont régulièrement mentionnés dans les registres paroissiaux.

Leugny-sur-Creuse

Leugny, située sur la rive gauche de la Creuse, compte également quelques hameaux rattachés à la paroisse installés sur la rive droite, comme La Villeplate où semblent résider les employés de la brigade de Leugny de la gabelle du Roy.
Vincent BAREAU, paroissien de Leugny, est cité comme passager dès l’année 1653 à l’occasion du mariage de sa fille Cécile, jusqu’à son décès, ce qui laisse penser qu’il a exercé jusqu’à la fin de sa vie. Vincent, né vers 1586, décède le 1er novembre 1661 à Leugny âgé de 75 ans.

Uni en premières noces à Huguette DEBASON +19/02/1627, dont il a eu 3 enfants :

  1. Jean °23/05/1619
  2. Claudine °18/02/1621
  3. Antoinette °18/11/1624

Uni en secondes noces le 25/07/1627 avec Antoinette LAVENTURIER +25/12/1656, dont il a eu 7 enfants :

  1. Jacquette °24/10/1628
  2. Cécile °15/09/1630 et +23/03/1659, x 27/01/1653 avec Antoine SORNIN
  3. Vincent °17/07/1633
  4. Claude °07/01/1637 et +04/09/1679, x 26/3/1663 avec Catherine DOURY
  5. Jeanne °03/03/1639 et +21/10/1657
  6. Charlotte °18/04/1643
  7. Vincent °08/10/1645

Le 21 octobre 1657, le curé GOBIN décrit l’accident du bateau de Vincent BARREAU qui a entrainé la disparition de sa fille Jeanne : « à heure de huit à neuf du matin le bateau passager du peuple à foule du port de Leugny soubs la conduite de Vincent Bareau passager et Jeanne, âgée de 18 ans, sa fille pour la quantité de gens enfondra en desmarant ou se noïa la ditte Jeanne laquelle étant tirée de l’eau demi-heure après fut par moi curé Gobin du lieu inhumée au cimetière de céans en présence de plusieurs personnes[…] ».
Le curé reporte dans son registre les faits marquants de l’année, certains ont perturbé l’activité du passager.

En 1660, « année remarquable pour avoir faict un si rude et si long hyver que de mémoire d’homme, il ne s’en est point vu un pareil, les neiges avaient commencer dès le quinzième décembre 1659 précédent, et la gelée s’espuisant de jour en jour, jusqu’à ce que la glace se fust rendue quasi généralement par tout, par les petits dégels imparfaicts, après lesquels se qui étoit fondu de la neige qui tombait de temps en temps jusqu’à la hauteur d’un pied, se reprenait de plus belle en sorte que le batteau à ce port de Leugny n’a point passé depuis le premier jour de l’an jusqu’au quinzième février étant enfondré par les glaces […] peu à peu ensuite sans grande pluie la neige se dissipa par la chaleur du soleil en l’espace de dix ou douze jours, sans incommoder […] les ponts sur les rivières ».

En 1663, « année remarquable en deux choses la 1ere en un froid malin de gelées et neige qui durèrent jusques a la micaresme qui estoit au commancement de mars par lequel les herbes des jardins découvertes de neige moururent et presque tous les noiers depuis le port de piles, tirant le long de ces deux rivières de Vienne et de Creuse, et encore la Claise vers Berry et la Touraine […] le 2 le jour de st Luc 1663, la rivière de Creuse est cruée à une hauteur où l’on ne l’avait jamais vouie en cette saison, environ cinq pieds moins que le unzième janvier de 1661 et justement à la même hauteur que l’an 1649 en janvier aussi, jusqu’au jardin de la maison du port qui est dans Leugny huit pas en plein mur au dessus de la clinche, est entroit dans la cour de la dite maison par le trou de l’égout qui va au chemin ».

En 1665, « […] au mesme temps ma rivière glaca de bort en bort et passa-on dix ou douze jours dessus librement et mesme des montures jusqu’au 26 … (ndlr : janvier) ».


Mairé

Mairé, anciennement Méré-le-Gaultier, est située sur la rive gauche de la Creuse. Son port est installé au nord-est du bourg, face à celui de Barrou. L’activité du bac entre Mairé et Barrou, importante au XVIIIème, décline au cours du XIXème par vétusté du bateau où seuls les piétons semblent être acceptés.

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Généalogie descendante de Vincent BARREAU

Génération I

Vincent BARREAU, meunier au moulin de Méré et passager au port du dit lieu, est le fils de Vincent et de Marie MARTIN. Il s’unit à Anne CARRE le 5 février 1703, également paroissienne de Mairé, et décède le 12 janvier 1747 âgé de 65 ans.

Lors de sa citation dans les registres paroissiaux (son mariage, le baptême et l’union de ses enfants, en tant que parrain des baptisés ou témoin d’un des époux), Vincent signe le registre ; le couple est installé au moulin de Méré où naitront leurs 9 enfants :

  1. Jeanne °23/01/1704 et +23/07/1741, x 19/11/1720 avec René BEAUVAIS
  2. Marie °30/08/1705, x 07/02/1729 avec Jacques MOUSNIER
  3. Louise °04/11/1706 et +06/02/1782 à Lésigny, x 04/03/1716 avec François PRIMAULT
  4. Anne ° vers 1708 et +07/09/1782, x 09/02/1733 avec Louis CHERIGNY
  5. Vincent °06/09/1710
  6. Gabriel ° vers 1712 et +30/01/1760, x 10/02/1744 avec Jeanne TROUVÉ
  7. Jean qui suit
  8. Marguerite °03/04/1715
  9. François °08/04/1817 et +24/10/1798 à La Guerche, x 01/03/1745 à La Guerche avec Louise CYRE

Les décès par noyade au moulin de Méré ou dans la Creuse sont mentionnés. Lors de la noyade de François GIRAUD le 22 février 1731, le curé CHAMPION reporte la cérémonie d’enterrement faite le jour même et celle d’inhumation lorsque le corps a été retrouvé, le 21 mars suivant.

Le port de Mairé

Génération II

Jean BARREAU, baptisé le 1er juin 1713 à Mairé, se marie le 19 juin 1747 avec Françoise AUJEARD et décède le 25 octobre 1793, âgé de 80 ans. Ils résident dans la paroisse (les actes ne permettent pas d’identifier le lieu avec plus de précision). Aucun acte où il est cité n’est signé de sa main, il ne semble pas savoir.
Le couple a 8 enfants :

  1. Jacques qui suit (a)
  2. Jean qui suit à Lésigny (b)
  3. Françoise °02/03/1752, x 02/06/1778 avec Jean FROUST
  4. Jeanne °10/04/1754 et +12/09/1828, x 01/02/1779 avec Jean RIBRAULT
  5. Madeleine °05/09/1755 et +10/05/1775
  6. Vincent ° vers 1757 et +15/09/1762
  7. Marguerite °04/07/1761 et +21/10/1824 à Saint-Rémy-sur-Creuse, x 18/01/1785 avec Louis PINAULT
  8. Jean François °03/01/1765 et +24/01/1850 à Lésigny, x 23/06/1794 à Lésigny avec Silvine BATONEAU

Dans les actes, Jean est cité comme passager au port de Mairé. Dans plusieurs, il est mentionné pour être allé récupérer des corps de noyés souvent dits « inconnu » dans le fief de la Guerche ou celui de Mairé, tous inhumés dans la paroisse de Mairé.

Génération III (a)

Jacques BARREAU est baptisé le 20 avril 1748 à Mairé ; il se marie avec Jeanne GEORGET dite FIOTE le 22 juin 1778 à Barrou sur l’autre rive de la Creuse, et décède le 28 février 1823 âgé de 75 ans.
Avant d’avoir atteint l’âge adulte, Jacques signe les actes dans lesquels il est cité.
Le couple vit dans le bourg de Méré où naîtront leurs 7 enfants :

  1. Jacques °13-09-1779 et +05/11/1779
  2. Jeanne °27/01/1781 et +12/02/1834, x 03/07/1804 avec Louis PHILIPPEAU
  3. Marie °15/01/1785, x1 10/01/1803 avec Jacques FENIANT et x2 17/10/1836 avec Sylvain GEORGET
  4. Jacques °18/03/1787
  5. Jean François °24/06/1789
  6. Etienne °24/06/1791, x 27/01/1821 avec Armande MARQUET
  7. Jean François °03/04/1795

Jacques est cité comme passager au port de Mairé ; il est également régulièrement mentionné avec son père avant son mariage, laissant penser qu’il a très rapidement travaillé avec lui. Aucun de ses enfants ne semble par contre lui avoir succédé dans son activité de passager.

Mairé – la vallée de la Creuse

Lésigny

Située au sud de Mairé, sur la rive gauche de la Creuse, la paroisse de Lésigny a une partie de son territoire qui dépend de l’élection de Loches avec La Guerche, Mairé et Leugny.

Génération III (b)

Jean BARREAU, baptisé le 4 juin 1750 à Mairé, épouse le 10 février 1777 Angélique DOUADIQUE à Lésigny où il décède le 22 décembre 1794 et son épouse le 27, âgés tous les deux de 44 ans, inhumés à Lésigny ; leur fils ainé est seulement âgé de 17 ans et 10 mois.

La Creuse de Leugny à Lésigny


Paroissiens de Lésigny, Jean dit Rosse et Angélique ont 5 enfants baptisés à Lésigny, sauf la deuxième qui est baptisée à Mairé. Au décès des parents, Pierre MAINGAULT, l’oncle maternel, est désigné curateur de leurs enfants :

  1. Jean, qui suit
  2. Marguerite °23/04/1779 et +28/02/1853 à Barrou, x 03/06/1806 avec Jean GUENAND à Bossay-sur-Claise
  3. Jacques °18/01/1783 et +24/10/1859
  4. Louise °29/06/1785 et +31/10/1864 à Abilly, x 25/06/1805 avec Pierre PERROTIN à Abilly
  5. Catherine °16/03/1788 et +10/05/1851 à Barrou, x 13/05/1834 avec François BERNARD

Tant à Mairé qu’à Lésigny, Jean est cité comme passager au port de Lésigny ou batelier de Lésigny. Lors de l’union de sa fille Louise en 1805, Jean et son fils ainé sont dit « fermier du passage de la rivière de Creuse au port de Lésigny ».

Génération IV (b)

Jean BARREAU est baptisé le 13 mars 1777 à Lésigny. Orphelin de ses parents, il est déclaré majeur, à peine âgé de 18 ans, lorsqu’il épouse en premières noces Louise Magdeleine TROUVÉ le 3 janvier 1795 à Mairé. Veuf, il se marie en secondes noces avec Anne CHATILLON le 15 février 1819 à Chambon et en troisièmes noces avec Françoise COLLET le 31 juillet 1838 à Lésigny. Avec chacune de ses épouses, Jean dit Muttant demeure dans le bourg de Lésigny où il décède le 24 janvier 1856, âgé de 78 ans.
Seule sa première union lui donne des enfants. Jean et Magdeleine ont 4 garçons baptisés à Lésigny :

  1. Jean °31/10/1795 et +14/11/1881, x 08/02/1820 avec Laurance DOUADY
  2. François °28/08/1799, x 21/04/1836 avec Adélaïde PAGNON à Yzeures-sur-Creuse
  3. Louis °19/02/1805 et +21/08/1807
  4. Alexandre °10/05/1807 et +15/03/1809

D’abord cité comme passager du port de Lésigny dans les actes, Jean semble ensuite n’exercer que l’activité de pêcheur à partir de 1820.


Sources
– Archives départementales d’Indre-et-Loire, de la Vienne, registres paroissiaux et d’état-civil, série 4U/20 justice de paix de Pleumartin
– CPA, collection particulière ©

[1]Les lacunes des registres paroissiaux du XVIème de Barrou, La Guerche, Lésigny, Leugny, Mairé, Saint-Rémy-sur-Creuse, ne permettent pas d’affirmer un lien de parenté entre les deux familles BARREAU présentées.

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Claude christ
Claude christ
1 année plus tôt

Article très intéressant sur un métier qui semble se transmettre au sein d’une famille dans le sud de la Touraine.
Mais l’appellation « passager » n’est-elle pas locale ?
A la même époque, dans la vallée du Cher, cette activité était dénommée « passeur du bac », et le métier était souvent exercé par un membre d’une famille de marinier.

Patricia PILLORGER
Patricia PILLORGER
1 année plus tôt
Reply to  Claude christ

Bonjour, je vous remercie. Tout le long de la Creuse, « passagé » est effectivement le « métier » qui leur ai donné. Le texte qui réglementait leur activité sous l’ancien régime était bien  » le droit de bac et de voiture d’eau ». D’une région à l’autre, il est tout a fait probable que la dénomination de leur métier évolue.

crouvizier
crouvizier
1 année plus tôt

Bonjour,
Article très intéressant, Vincent Bareau est mon sosie 2657….

crouvizier
crouvizier
1 année plus tôt
Reply to  crouvizier

Il ne faut jamais écrire à partir d’un téléphone, sans relire… sosa 2656…