
Article extrait de la publication de l’Atelier du Centre Généalogique de Touraine « LES MARINIERS DE TOURAINE » parue en janvier 1992.
Dès les temps les plus reculés, fleuves et rivières ont constitué une voie privilégiée de communication. Ces « chemins qui marchent », tout tracés et plus sûrs que les routes, ne nécessitent qu’un entretien limité et créent des relations faciles avec les provinces éloignées. Le tonnage transporté est plus important que par terre et le coût en est moins élevé. La navigation occupe certes une main-d’oeuvre nombreuse (conduite, halage, manutention…), mais celle-ci a l’avantage alors d’être abondante et bon marché.
Les seuls inconvénients résident dans les incertitudes et les dangers inhérents à l’état des éléments : absence ou excès de vent, crues ou risques d’échouage sur les grèves, obstacles rencontrés (écueils ou piles de ponts…), mais le caractère déterminé des mariniers et leur courage ne s’embarrassèrent jamais de ces difficultés.
Les bateaux à voile pour marchandises

TYPES et UTILISATIONS
Il n’existe pas une terminologie précise et, suivant les registres ou les auteurs, des bateaux de catégories différentes peuvent être gratifiés d’une même dénomination ; comme des embarcations d’un même type peuvent avoir des appellations différentes. On pourra toutefois distinguer :
suivant l’utilisation :
- les chalands, dits parfois « chalands de Loire », propres à la navigation sur ce fleuve. Bateaux robustes et compliqués, construits en chêne et pouvant être vergés (mâtés)
- les sentines ou allèges pour le transport des marchandises
- les toues ou bachots, bateaux légers de service non mâtés, destinés à être remorqués ou employés au balisage
- les flûtes pour le transport du vin
- les margottats pour le transport des matériaux de construction
- les gabares pour les tireurs de sable ou de jard, les tutureaux pour le transport du sable
- les bascules (appelées aussi basouilles) ou bateaux viviers, transportant le poisson d’un pays à l’autre
suivant leur origine :
- les sapines ou sapinières (du fait du matériau de construction) dites saint-rambertes (qui dérivent en salambardes) ou roannaises suivant le lieu de construction. Elles sont destinées à être déchirées et à être vendues comme bois de chauffage au port de destination.
- les saumuroises ou culs-de-poule et les nantaises ont un profil particulier rappelant l’architecture maritime (étrave pointue et poupe arrondie). Elles peuvent descendre jusqu’à la mer.
- les berrichons spécialement construits pour franchir les écluses étroites du canal du Berry.

DIMENSIONS
Sur la Loire en 1835
(d’après Amédée d’Andigné)
nature du bateau | longueur en pieds | longueur en mètres | largeur en pieds | largeur en mètres | calage à vide | charges tonneaux | matériau |
chaland 1ère classe chaland 2ème classe chaland 3ème classe | 90 à 100 60 45 | 29 à 33 19,80 14,85 | 15 15 12 | 4,95 4,95 3,96 | 0,24 – – | 35 à 65 18 à 40 – | chêne chêne chêne |
roannaise | 80 | 26,40 | 12 à 14 | 3,96 à 4,62 | – | 12 à 50 | sapin |
saint-ramberte | 72 | 23,10 | 12 à 18 | 3,96 à 5,94 | – | 10 à 45 | sapin |
toue | – | – | – | – | – | 8 à 15 |
Sur le Cher, la Vienne et la Creuse en 1896
(statistique de la navigation intérieure des Ponts et Chaussées)
nature du bateau | longueur en mètres | largeur en mètres | observations |
gabare | 25 à 30 | 5,00 | comporte une piautre |
gabareau | 18 à 23 | 4,60 | comporte un gouvernail |
sapine | 33 | 5,00 | sans piautre ni gouvernail |
A noter cependant les dimensions mentionnées dans le certificat de jaugeage du gabareau « Le Bayard » appartenant à François FRESLIER et construit en 1900 : longueur maximum (gouvernail non compris) 27,80 m et largeur maximum 5,05 m. Ce bateau naviguant sur le Cher a été sûrement l’un des derniers de sa catégorie.
CONSTRUCTION et RÉPARATION
Le chaland est adapté à la Loire :
- plat, sans quille, il peut naviguer sans beaucoup d’eau du fait de son faible enfoncement en charge.
- long et étroit, avec des côtés peu élevés, donc maniable, il peut passer dans un chenal étroit.
- léger, il peut être remis à l’eau sans difficulté lors des échouages.
- l’avant étant plat et relevé, les sables et les épaves flottantes peuvent glisser sous sa coque.
Son évolution :
- à l’origine : pirogue monoxyle (creusée dans un seul tronc d’arbre). Sa forme est rectangulaire, en plan comme en coupe transversale. Ses dimensions ne peuvent dépasser celles du tronc d’arbre initial (celle trouvée dans le lit du Cher avait 6,5 m de long – 0,75 m de large et 0,25 m de profondeur).
- deuxième étape : élargissement de la pirogue monoxyle en la fendant dans le sens de la longueur et en intercalant une ou plusieurs planches entre les deux moitiés, d’où la nécessité de pièces de liaison transversales.
- troisième étape : élaboration à partir de planches débitées en sapin ou en chêne. Aucune pièce de métal n’entre dans la construction. Les assemblages sont fait exclusivement à l’aide de chevilles de bois.
En raison de leur légèreté, il arrivait aux mariniers d’être obligés d’interrompre leur voyage pour renforcer leur embarcation ou pour aveugler une voie d’eau, en utilisant une planche, de l’étoupe ou de la mousse et, à l’aide d’outillage sommaire (le « digoin » surtout), confectionner un « palastre ».

Équipement
Au centre du bateau : un haut mât avec girouette au sommet et grande voile rectangulaire pouvant être hissée par une poulie. Le mât peut être abaissé au moyen d’un câbleau d’étai pour passer sous les ponts.
A l’arrière : un lourd gouvernail, la « piautre », servant à la fois de gouvernail et de stabilisateur (quille). Puis un guinda ou guindard (cabestan) permettant d’enrouler l’étai du mât.
A l’avant : une grosse ancre.
A l’avant et à l’arrière : les arronçoirs, pièces de bois en dent de scie fixées de chaque côté du bateau permettant de coincer un grand bâton pour manoeuvrer rapidement le bateau.
Au centre : une cabane couverte servant de logement au patron, avec dalle pour l’âtre ; plus tard, un fourneau pour faire la cuisine, une planche en guise de table et deux couchettes superposées.
En général, sur le second bateau (ou « tireau ») se trouvait la cabane où les compagnons mariniers dormaient. Elle était construite en voliges, garnie d’une épaisse couche de paille et d’une couverture de la largeur de la cabane appelée « gariot ».
Sur le pont étaient les cordages, les perches (bâtons de marine) et deux ou trois avirons.

Les bateaux à voile pour voyageurs
La cabane
Bateau ouvert à fond plat, comportant un pont de bois pour y accéder, et une maison en bois sur le pont. Dotées d’un certain confort, les cabanes sont des esquifs trois fois plus longs que larges et qui peuvent atteindre 24 m au maximum de la poupe à la proue. Leur coque est faite de planches de sapin minces et souples, établies sur une membrure de chêne.
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Le coche d’eau
Plus rarement appelé patache, il désigne plus particulièrement les grands bateaux pontés assurant les transports en commun des voyageurs d’une façon régulière, d’un point à un autre de la Loire.
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La galiote
Bateau couvert pour naviguer sur les rivières, loué ou possédé par les gens aisés avec parfois quelques sentines à la suite pour y caser serviteurs et bagages.
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Le tirot
Bateau de rameurs utilisé pour donner la remorque à des personnages distingués.
Les bateaux à vapeur
Le premier navire à vapeur circula en 1839 entre Orléans et Nantes.
Les bateaux à vapeur, mesurant 25 à 47 m de long et 2,30 à 2,50 m de large, construits d’abord en bois puis par la suite en tôle de fer, étaient équipés initialement de machines d’origine anglaise puis de machines fabriquées en France à Nantes ou à Paris. Ces machines étaient de types très divers : haute – basse ou très basse pression, à balancier, oscillante, avec ou sans condenseur.
La machine, placée au centre du bateau sous le pont, actionnait des roues à aubes d’un diamètre de 3 m environ, situées de chaque côté du bateau.
Les machines, alimentées au charbon, étaient d’un mauvais rendement probablement dû à leurs chaudières à faces planes. Comme lubrifiant on utilisait le suif puis, vers la fin des années 1840, on commença à essayer une nouveauté appelée « graisse américaine » (probablement graisse industrielle).
L’équipage d’un bateau à vapeur comprenait au moins un capitaine ou patron, un agent comptable, un mécanicien et un chauffeur, trois matelots et un mousse. En marche, un des matelots se mettait à la proue en tant que pilote, et un autre à la poupe comme barreur. Le capitaine commandait d’une plateforme située entre les deux tambours des roues à aubes ; il communiquait avec le pilote, le barreur et les voyageurs, dans le bruit des palettes frappant l’eau, au moyen d’un porte-voix.
Les mécaniciens et les chauffeurs travaillaient sous le pont, dans des conditions rendues extrêmement pénibles à cause du manque d’isolation thermique de la machine.
Le prix du voyage était plus élevé à la montée qu’à la descente puisqu’on y consommait davantage de charbon. De Blois à Nantes, il s’élevait à 20 francs en 1842.

Bateaux divers
Les bateaux-moulins
Ils sont installés au meilleur du courant afin que puissent tourner les roues à aubes qui actionnent les meules.
Leurs grosses amarres de chanvre ou de chaînes traversent le passage, attachées aux rives, digues ou piles de ponts. Ces moulins perturbaient si fort la navigation que maints arrêts du Conseil d’État du roi furent rendus contre eux afin de protéger le trafic.
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Les bateaux-lavoirs
Ils étaient installés sur la rive et permettaient aux ménagères de procéder à la lessive et de rincer leur linge à l’eau courante : ils comportaient au niveau de l’eau des emplacements de lavage individuels ; dans la partie centrale, la buanderie où bout le linge et, à l’étage, des séchoirs aérés.
Il existait à Tours onze bateaux à laver en 1877, et huit en 1936.

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Les bateaux-bains-douches
Ils étaient installés sur la rive et permettaient aux citadins de procéder aux soins corporels.
Il existait à Tours en 1877 un établissement dit « Les Bains chauds de la Loire ». En 1936 il subsistait deux établissements.
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Les bateaux de passeurs
Ces larges bacs goudronnés transportaient attelages et voyageurs d’une rive à l’autre. Les charrières emportaient sur les îles vaches et chèvres à la belle saison.
Conseil général d’Indre-et-Loire – 1ère session ordinaire 1935

Sources illustrations :
– collection de cartes postales des AM de Tours et AD37
– Larousse universel en 2 volumes
Pour le gabareau, navigant sur le Cher, je vous est cité le « certificat de jaugeage » du bateau de François Freslier, Le Bayard, construit en 1900, qui serait plus grand que les informations données dans le texte ci dessus : longueur de 27,80m et largeur de 5.05m. Il a navigué sur le Cher jusqu’en 1920, et constitue surement un des derniers de sa catégorie.
Bonjour M. Christ
Merci pour cette remarque : j’ai ajouté une note dans l’article pour préciser cette info particulière. Bonne journée à vous. Evelyne
En poursuivant la lecture de ces différents textes, c’est tout un monde désormais disparu qui se révèle à l’esprit. Quelle belle initiative que celle de sortir de l’oubli, l’histoire de ces corporations éteintes maintenant. Grâce à elle, une économie s’est développée avant de muter avec l’aide de moyens nouveaux qui se sont imposés. Le rôle de l’automne est annonciateur d’un printemps différent de tous ceux ceux qui l’ont précédé… Merci pour cette belle leçon de vie.
Jacques Charron
Article très instructif sur nos bateaux. Je serais curieuse de retrouver les chemins de halage sur d’anciennes cartes. ( Il faudrait peut-être revoir cette phrase: . Ces moulins perturbaient si fort la navigation que main arrêt du Conseil d’État du roi fut rendu contre eux afin de protéger le trafic.)
Merci pour votre vigilance et de nous avoir signalé cette belle faute de main ! la phrase a été corrigée.
L’équipe Blog