N comme Naviguer sur la Loire et ses affluents

Article extrait de la publication de l’Atelier du Centre Généalogique de Touraine « LES MARINIERS DE TOURAINE » parue en janvier 1992.

Dès les temps les plus reculés, fleuves et rivières ont constitué une voie privilégiée de communication. Ces « chemins qui marchent », tout tracés et plus sûrs que les routes, ne nécessitent qu’un entretien limité et créent des relations faciles avec les provinces éloignées.

Le tonnage transporté est plus important que par terre et le coût en est moins élevé. La navigation occupe certes une main-d’oeuvre nombreuse (conduite, halage, manutention, etc.), mais celle-ci a l’avantage alors d’être abondante et bon marché.

Les seuls inconvénients résident dans les incertitudes et les dangers inhérents à l’état des éléments : absence ou excès de vent, crues ou risques d’échouage sur les grèves, obstacles rencontrés (écueils ou piles des ponts) mais le caractère déterminé des mariniers et leur courage ne s’embarrassèrent jamais de ces difficultés.

La Loire à Tours

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La navigation antique

La navigation sur la Loire (Liger des Anciens) remonte à la plus haute antiquité. Le géographe grec STRABON situe, au Vème siècle avant J-C, le port de Corbilo dans son embouchure ; et les sables de Luynes, de Saumur, des Ponts-de-Cé et Ancenis ont restitué des traces d’appontements, des armes, des objets en bronze et des statues.
A Tours, les fouilles effectuées en 1979-80 ont mis en évidence, place de la Victoire, un long mur parallèle à la Loire large d’1,60 m et haut de 2,50 m reposant sur des pieux de chêne et bordé d’un espace comblé de sable et d’alluvions, servant à la fois de quai et de protection contre les crues.

Avec la conquête romaine, l’activité ne fit que croître. Les mariniers se groupèrent alors en une corporation puissante : les « Nautae Ligerici », dont les ports principaux devaient se situer à Nantes (Portus Namnetum) et à Chalon-sur-Saône. A l’antique trafic de l’étain et du sel, provenant de Bretagne, allait se superposer celui des marbres[1], des meules[2], des poteries, de la vaisselle en céramique sigillée[3], du vin italien et de l’huile ibérique.

La décadence romaine fit rentrer dans la nuit la navigation ligérienne. La période sombre, qui s’étend du Vème au Xème siècle, connut vraisemblablement un commerce exsangue. Grégoire de Tours évoque un marchand tourangeau dont le vin descend la Loire en barque, mais on ne conserve que le souvenir des luttes sous les murailles des villes, des incursions de drakkars normands porteurs de ruines et de morts. Les rives des fleuves vont se hérisser de forteresses pour surveiller la voie d’eau, encourageant la perception de nombreux péages[4], d’où une multitude d’entraves à la libre circulation qui se prolongeront durant des siècles.

A partir du XIème siècle, l’ordre se rétablit dans les pays de la Loire. Le fleuve devient la grande voie de pénétration de la Bretagne au Massif Central. Neuf ponts franchissent alors la Loire moyenne à Gien, Sully (avant 1089), Orléans, Beaugency, Blois (avant 1089), Amboise, Tours (1034), les Ponts-de-Cé et Chalonnes (1140).

Henri II Plantagenêt

Puis Henri II Plantagenêt, en faisant construire en 1160 les premières levées, inaugure la série des grands aménagements.

[1] comme ceux retrouvés à Châtigny, commune de Fondettes.
[2] une quinzaine en lave d’Auvergne dans le quartier de l’Hôtel de ville à Tours.
[3] de Lezoux (Puy-de-Dôme) ou de la Graufesenque (Aveyron).
[4] plus de 200 au XIVème siècle sur la Loire.

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L’âge d’or de la batellerie sur la Loire

Devant le développement de l’activité commerciale et la cupidité des seigneurs péagers, les voituriers par eau n’ont qu’un moyen : s’associer.

Retrouvant l’esprit de l’ancienne corporation des nautes, ils créent la « Communauté des Marchands fréquentant la rivière de Loire et des fleuves descendant en icelle ». Approuvée par le roi Philippe le Bel, c’est elle qui va assurer durant quatre siècles la prospérité de la navigation et du commerce, gestionnaire de l’entretien et de la sécurité de la voie d’eau, de l’assurance des marchandises comme des secours apportés aux victimes des naufrages.

C’est l’âge d’or de la batellerie et la Loire est devenue « le plus grand fleuve et le plus important du royaume, assurant la meilleure partie du commerce de la France » [1]. En Touraine, le Cher et la Vienne contribuaient à cette prospérité.

On s’intéresse aussi aux voyageurs : dès 1737 des coches d’eau s’établissent. La concurrence est vive. Quand Mme de SÉVIGNÉ descend sur le quai d’Orléans, vingt bateliers se présentent ; il suffit de 6 passagers à un louis d’or chacun pour que le bateau parte.

Jean-Baptiste Colbert
(1619–1683)

L’administration royale allait progressivement prendre ombrage de cette importance. Ce sont d’abord les intendants des turcies et levées qui vont prendre en main la réfection totale des levées en 1668, puis COLBERT va déposséder la Communauté de son indépendance en lui retirant le droit de boîte et en la transformant en organisme consultatif. Privée de ses droits et de ses subsides, elle fut finalement supprimée par un édit de 1772.
Les fonctionnaires qui prirent son relais allaient se distinguer par une négligence qui explique que certains cahiers de doléances rédigés en 1789 supplient le roi de rétablir la Communauté.

[1] Arrêt du Conseil de 1661.

Tours au XVIIIème siècle

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Une lutte inégale

L’Ancien Régime, avec ses grandes levées insubmersibles, avait privilégié la navigation ; les Ponts et Chaussées, en laissant les riverains les dégrader, planter des oseraies et des arbres ou construire de petites digues parallèles, qui approfondissaient le lit principal mais gênaient le passage des eaux, optèrent pour une autre solution. On songea alors au seul recours possible : le creusement d’un canal latéral. La loi de 1836 l’autorisa mais les fonds permettant sa réalisation ne furent jamais réunis.

Pendant ce temps, les routes s’amélioraient et se multipliaient, répondant à une nouvelle conception des transports basée sur la rapidité et le respect d’horaires précis.

En 1829, les premiers bateaux à vapeur apparurent : l’Aigle (1832), le Vulcain (1834), les Hirondelles (1836), les Inexplosibles (1838). Ces bateaux effectuèrent 582 voyages d’Orléans à Nantes et 292 d’Angers à Nevers en 1842.
On comptait alors 4 compagnies de bateaux à vapeur :

  • les paquebots d’Orléans à Nantes ;
  • les Inexplosibles de la Haute-Loire, de Moulins à Orléans ;
  • ceux de la Basse-Loire d’Orléans à Angers ;
  • enfin 4 remorqueurs : la Gironde, le Loiret, le Rhône-et-le-Rhin et le Commerce Saumur.

Ils pouvaient transporter de 150 à 250 voyageurs à la vitesse de 8 km/h à la montée et 18 km/h à la descente.
Ce succès encouragea d’autres constructions : en 1855, plus de 10 000 bateaux circulaient sur la Loire, le trafic atteignait celui de la Seine et était 20 fois supérieur à celui du Rhin.

Peine perdue ! La vapeur, qui avait vaincu la voile, quitta les bateaux pour le chemin de fer : en 1843 celui-ci arrivait à Orléans ; en 1846 à Tours ; en 1848 à Angers.
Le tonnage transporté par eau chuta rapidement : 628 000 tonnes en 1850, 288 000 en 1859 et seulement 31 000 en 1892. Le manque d’eau et l’usure du matériel, qu’on ne renouvela pas, firent le reste.

Collection cartes postales Archives Municipales de Tours

En 1900, une dernière tentative d’une société blésoise consista à atteler deux chalands derrière le Fram, un remorqueur. Plusieurs voyages furent faits de 1903 à 1909 : quelques rares Tourangeaux s’en souviennent encore !

Ce devait être la dernière image de la batellerie de la Loire.

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