E comme Enfernau, moulin à Vernou-sur-Brenne

Article d’Hélène VAGNINI, Présidente d’honneur et membre du Centre Généalogique de Touraine

Comme son nom l’indique, ce village est traversé par la Brenne, rivière qui se jette dans la Cisse qui rejoint elle-même la Loire, « dernier fleuve sauvage » au sud de la commune.
La Cisse, très raisonnable, arrive de Noizay par l’est, en longeant le côteau.

AD37 – 10Fi270-0028

La Brenne, fantasque quant à elle, prend sa source dans le Loir-et-Cher, passe par Château-Renault et arrive à Vernou par l’ouest, traverse le village et se jette dans la Cisse. Ses crues sont rapides, désordonnées et dangereuses. Aussi de nombreux « canaux » ont été creusés pour la calmer un peu. A ces canaux d’autres ont été ajoutés qui forment les biefs ou « bieds » des nombreux moulins du village. Ce qui fait que l’on se croirait presque sur une lagune, les gondoles en moins…

Le nombre de moulins dans le bourg de Vernou est important : le Moulin Banal, le Moulin à Fourbir Harnois, les deux  Moulins des Landes, le Moulin Garnier, le Moulin Griard… Ces 6 moulins ont changé de fonctions au cours des siècles. Et dans les vallées, trois moulins sont recensés : le Moulin de Villemereau, le Moulin d’Angibault et le Moulin Courtemanche qui ont toujours été des moulins à blé.

Un moulin… ce joli nom qui a inspiré les poètes au cours des siècles, était en fait, une véritable usine, équipée d’une machinerie lourde employant l’énergie hydraulique, obligeant le creusement de biefs  qui transformaient le paysage rural, nécessitant un entretien constant, des réparations nombreuses et du personnel.

Si on connaît de nombreux fermiers du moulin banal depuis le XVIIème siècle, il y a peu de documents sur le moulin lui-même avant le début du XVIIIème siècle (les 26 décembre 1733, 30 octobre 1741 et 4 janvier 1742 on trouve des procès-verbaux de réparations sur le moulin et sur le bief).
Ce moulin était alimenté par un bief de la Brenne : partant de la Thierrière, il passait sous le moulin et sous le chemin (actuellement rue de La République), longeait la digue actuelle et arrivait dans le village, sous le nom de rivière du Boisseau ; il rejoignait la Cisse à la sortie ouest du village. L’acte de 1781 dit que « les levées et chaussées du moulin à partir des fausses portes dudit moulin, jusqu’au déchargeoir d’icelluy… lesdites levées sont en bon état mais doivent être élargies entre le déchargeoir et la borne » .

LE MOULIN BANAL était appelé au XIIIème siècle  « INFERNALI » ou « ENFERNAU » (mais au XIXème siècle on a oublié son  nom)

A l’époque franque, le grand propriétaire possède à l’usage de ses tenanciers un moulin à moudre le grain, un four à cuire le pain et un pressoir à écraser le raisin. Au Moyen Âge, tous les sujets du seigneur sont obligés de se servir de son moulin, de son four et de son pressoir : c’est un monopole économique, obligatoire sous peine de sanctions. Ce monopole est proclamé  (proclamation = ban) et imposé par le suzerain à ses vassaux. La banalité la plus répandue est celle du moulin. Tous les habitants dans un cercle d’une lieue autour du moulin, dans sa « ban-lieue », en ressortissent obligatoirement ! Le meunier du moulin banal est un agent seigneurial : il retient, pour payer le service rendu, une certaine portion de farine moulue.
D’une façon générale, construire et entretenir un moulin coûtait fort cher et seuls des personnages riches et puissants ont pu s’en charger, des seigneurs ecclésiastiques surtout ; c’est le cas de ce moulin qui dépendait de la Baronnie de Vernou, dont les Archevêques de Tours étaient barons depuis le VIIème siècle et ce, jusqu’à la Révolution.
Le Prévost, choisi par le seigneur, avait un bail qui consistait à recruter un meunier chargé d’entretenir toutes les pièces du moulin, fort complexes, de le faire fonctionner le plus possible ; le bail du moulin s’accompagnait d’une maison, d’étables, d’un grand jardin, de pièces de prés et de terre et d’un droit de pêche.

BAUX A FERME DU MOULIN BANAL

Le Prévost, puis le Fermier général, baillaient à ferme pour 9 ans à un maître meunier appelé indifféremment fermier, meunier ou marchand meunier. D’après les registres paroissiaux et les actes notariés, voici quelques noms de fermiers et meuniers du moulin de la Baronnye :

  • 1264 – AYMERICO (MOLENDARII), le meunier, a loué à ferme le moulin, situé « Infernali » en Brenne dans la paroisse de Vernou (ce moulin à eau se trouvait au bout de la rue de la République actuelle, juste après la porte de la digue actuelle… il y en a encore des restes sous les broussailles).
  • 1628 – René ou Macé MOSNIER ou VOYER et son épouse Renée CHAUMIER ou CHAUVIGNY
  • 1641 – Simon BRUNEAU
  • 1686 – Georges Nn…. meunier du moulin banal de Vernou
  • 1724 – Estienne BONGARS nommé fermier du moulin (Un  document de 1812 signale qu’Estienne BONGARS avait été nommé fermier du moulin en 1724. Estienne BONGARS était marié à Magdeleine CHEDPEAU. C’est une famille qui a possédé beaucoup de biens à Vernou)
  • avant 1733 – Antoine et Michel BOULLIN
  • 1733 – Estienne et René BONGARDS père et fils
  • après 1733 – René FERRON
  • 1741 – René BIGOT
  • 1753 – bail à ferme du moulin par René FERRON, fermier général,  à Joseph BOULAIN
    1754 – 1763 – 1772 Joseph BOULAIN (13 février 1754 : un autre procès-verbal de réparations des « bieds » du moulin de la baronnie, le meunier est toujours Joseph Boullin – 18 janvier 1763 : Joseph Boullain, déjà fermier du temps de la jouissance de Ferron, est tenu de faire les réparations et de mettre les lieux en état à l’échéance de son bail ou lors de sa sortie du même moulin – 16 mars 1772 : Joseph Boulain marchand meunier, fermier dudit moulin banal de Vernou, en a la jouissance depuis Noël dernier, il demeure à Chançay).
  • 1780 – Joseph BOULAIN et son épouse Anne DUPUY
  • 1784 – Claude BOULLAIN et son épouse Catherine LEROY
  • 1791 – Pierre GEORGET et son épouse Anne BOULLAIN

LE MOULIN APRÈS LA RÉVOLUTION                                

A la Révolution, lors de la vente du moulin en mai 1791 comme bien national, on en apprend un peu plus : « Le moulin à blé de la cy-devant Baronnie de Vernou, composé d’une halle dans laquelle sont les tournants et virants dudit moulin, une chambre basse à cheminée dans laquelle est la bouche d’un four, au-dessus une autre chambre à cheminée, au bout de la première chambre un petit escalier en pierre pour monter à une chambre à cheminée, grenier sur le tout et couvert de (thuilles). A côté de la halle du moulin, à l’Ouest, deux écuries avec grenier dessus. Sous la dernière chambre au Nord des bâtiments cy-dessus, trois toits à porcs. Au-devant des bâtiments un poulailler couvert de (thuilles) ; au derrière et au couchant un jardin contenant environ 4 à 5 (chaisnées).»

A cette date, les bâtiments représentaient 0,06 hectare et les prés 5,71 hectares. Le tout  fut  adjugé  à Pierre GEORGET le dernier maître meunier de la Baronnie. La suppression de la banalité du moulin de la baronnie a entraîné une dépréciation du loyer de 650 livres (8 mai 1791).

Le moulin a continué à fonctionner pendant un certain temps : un acte du 11 septembre  1812 précise que le propriétaire du moulin de Vernou et de ses dépendances est le sieur VALLETEAU de CHABREFY.
Par acte du 12 mars 1823, Thomas VALLETEAU de CHABREFY le jeune, écuyer, chevalier des Ordres du Saint-Sépulcre et de l’Éperon d’or, propriétaire de Valmer et maire de Chançay, établit un bail à ferme pour 16 ans à Antoine Charles COURANGON, ancien meunier, et Marie GEORGET son épouse, fille du précédent meunier du moulin à blé appelé « le moulin banal de Vernou », composé de bâtiments, d’une halle de moulin, d’une grange, d’une écurie, grenier, cave en roc avec cheminée à four, grenier au-dessus, moulants, tournants et virants, les ustensiles, et le terrain, en tout « 9 ares 9 centiares, soit 14 chaisnées ancienne mesure locale ». A charge pour le nouveau meunier d’en jouir en « bon père de famille », d’habiter avec sa famille audit moulin, de garnir de meubles et d’effets le bâtiment, d’y mettre des bestiaux, des ustensiles aratoires en quantité suffisante pour le faire valoir, d’entretenir, de labourer, de cultiver, de ne laisser aucun chaume à l’entrée, de faucher annuellement la première herbe du pré, de resserrer les foins dans la grange, etc.
On sent bien là un souci du propriétaire de faire revivre ce moulin et de le faire valoir.

Puis, la « mécanique du moulin » a continué à servir, mais revue et corrigée selon les besoins des  différentes usines : 8 au total dont la dernière, l’usine COSSON de machines à coudre, a fermé ses portes au milieu du XXème siècle…

Aujourd’hui, ce qui avait été un moulin très actif est devenu une friche…


La famille GEORGET

Ascendance et descendance de Pierre GEORGET

Le père Pierre GEORGET, né en 1751, épouse en premières noces en 1773,  Anne BOULAIN (de Chançay) puis, en secondes noces en 1783,  Madeleine PELTIER (de Reugny).
En 1791, Pierre GEORGET et sa femme Marie PELTIER, deviennent acquéreurs du moulin.
De ces deux mariages naîtront 18 enfants, tous nés à Vernou, dont 11 décéderont en bas âge.

La famille GEORGET va donner au village un de ses plus prestigieux sujets : Étienne GEORGET.

Parmi les sept enfants restants, un des fils, Étienne GEORGET, né le 9 avril 1795 à Vernou, deviendra un grand médecin aliéniste. Il mourra  de tuberculose à 31 ans, sans s’être marié et donc, sans postérité.
Étienne GEORGET a eu un parcours étonnant : il part en 1812, à 18 ans pour la capitale, mais à cause des évènements de 1813 (chute du Ier Empire), il est contraint de revenir en Touraine. Il entre alors à l’hôpital général de Tours où il reste deux ans comme élève, puis repart pour Paris.
En 1816, il est attaché à la direction des aliénés à l’hospice de la Salpêtrière. Cette circonstance décide de la direction de ses travaux. Encore élève, il remporte le prix d’un concours dont le thème traitait des altérations que l’on trouve sur les cadavres des aliénés. En 1820, il fait paraître un ouvrage qui aura un grand retentissement : « De la folie, considérations sur cette maladie, son siège et ses symptômes ». Etienne GEORGET apporta à la psychiatrie française du début du XIXème siècle une grande clarté et une méthodologie précise.
On lui doit une première définition exacte du champ de la psychopathologie par rapport à celui des troubles mentaux symptomatiques des lésions cérébrales. Il fut un des fondateurs du Journal des Archives générales de Médecine et en assura la direction jusqu’à sa mort, à Paris, en 1828.
Il était un grand ami du peintre Géricault (auteur du « radeau de la Méduse ») qu’il avait soigné pour des lésions de la moelle épinière consécutives à deux chutes de cheval.
La commune de Vernou lui a rendu hommage en donnant son nom à une rue du village.

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Claude christ
Claude christ
2 années plus tôt

Article très intéressant pour sa partie historique sur le fonctionnement des moulins banaux.
Je ne connaissais pas l’étymologie du nom ban-lieu : merci pour cette précision.