H comme… HOFFBAUER Charles, artiste, et la fresque du château d’Artigny

Article de Patricia PILLORGER du Centre Généalogique de Touraine

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Le château actuel du Puy d’Artigny a été construit à partir de 1912 en remplacement de l’ancienne gentilhommière qui a été rasée. Copié sur le modèle de celui de Champlâtreux (95) avec les meilleurs matériaux et des aménagements modernes, son propriétaire, François COTY, souhaite « ajouter une nouvelle perle au collier des châteaux de la Loire ».

Employant plus de 150 personnes (architectes, maitres d’œuvre, sculpteurs, peintres, mosaïstes, artisans et ouvriers), le château d’Artigny est une très belle réalisation, installé au milieu d’un domaine de 1 300 hectares incluant 7 km de rivière, des fermes, des moulins, des serres, un pavillon de chasse et des bâtiments d’école.

Au rez-de-chaussée, le château est composé d’une longue galerie qui dessert de vastes pièces en enfilade : le grand salon, la bibliothèque, le petit salon, la salle à manger et l’escalier d’honneur. Au premier étage se trouve le bureau de « Monsieur de Montbazon » et la salle de réception aux hautes fenêtres qui donnent sur la vallée de l’Indre.

Vue aérienne du Château d’Artigny, juin 1982

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La décoration intérieure n’est lancée qu’au début des années 1920. La pièce maîtresse du château est la Rotonde au centre de la salle de réception. Située à une dizaine de mètres de haut, la coupole est peinte d’une fresque en trompe-l’œil, réalisée entre 1922 et 1924.

L’auteur a utilisé le procédé de l’huile sur toile marouflée, c’est-à-dire une peinture réalisée sur une toile qui est appliquée sur le mur avec une colle très forte, la maroufle.
La fresque représente une scène qui surplombe l’assistance, elle évoque un bal costumé et est découpée en quatre panneaux séparés par quatre médaillons. Les panneaux apparaissent comme de grandes baies ouvertes dans un mur de pierre et les médaillons comme des ouvertures plus modestes, tous ouverts sur le ciel éclairé par les fusées du feu d’artifice.
De nombreux amis et membres de la famille de François COTY y sont représentés, une quarantaine de personnalités des années folles, peintes grandeur nature, qui participent au bal costumé.

Panneau sud de la coupole entouré de deux médaillons

Panneau est : Roland COTY, fils ainé de François ; Mary MARQUET et Cécile SOREL, actrices de la Comédie Française ; Edwige FEUILLÈRE, comédienne ; Serge de DIAGHILEV, fondateur d’une compagnie des Ballets russes ; Christiane COTY en colombine, fille de François, et Madame DUFOUR, amie d’enfance de Christiane et fille d’un parfumeur tourangeau.

Panneau nord : Gaby MORLAY, actrice ; William SAURIN, industriel et second époux de Christiane ; Elvire POPESCO, actrice ; Marguerite CHARLOT, femme de Roland ; Paul DUBONNET, premier époux de Christiane.

Panneau sud : Serge LIFAR, premier danseur des Ballets russes ; Léonard FOUJITA, peintre japonais ; Aga KHAN, membre de la famille royale indienne ; Colette DARJAC actrice ; Christiane COTY, jeune femme ; François COTY, le maitre des lieux ; Yvonne LE BARON, épouse de François.

Panneau ouest : Les personnages représentés tournent le dos, tous occupés à admirer le feu d’artifice, ce qui rend leur identification difficile.

Les médaillons : un hussard du Premier Empire, le couple Fernand GRAVEY et Jeanne RENOUARDT, acteurs, un valet de pied en livrée Louis XV, le violoniste TOSCANO.

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L’auteur de l’époustouflante peinture d’Artigny est Charles HOFFBAUER, un spécialiste des fresques murales.

Charles Constantin Joseph, né le 28 juin 1875, rue d’Arras, Paris VIe (75), est le fils d’un architecte archéologue, Féodor Hubert (ou Théodor Josef Hubert) HOFFBAUER, originaire de la Prusse rhénane, et de Marie Clémence Geneviève BELLOC, originaire de Champagne. Il reçoit un enseignement français traditionnel. Passionné par l’Histoire, il aidait son père dans ses recherches.

A 17 ans, Charles entre à l’École des Beaux-Arts à Paris où il étudie avec Fernand CORMON, François FLEMENG et Gustave MOREAU ; il y côtoie Henri MATISSE, Georges ROUAULT, Albert MARQUET, entre autres.

A 21 ans, il interrompt ses études pour effectuer son service militaire en Normandie. A son retour à Paris en septembre 1897, il débute sa carrière d’artiste. En 1898, il obtient la mention honorable pour sa première exposition au Salon de Paris et, l’année suivante, la médaille d’or, devenant le plus jeune artiste à la recevoir.

A 25 ans, Charles reçoit la médaille de bronze à l’Exposition universelle de Paris de 1900.

En 1905, en s’appuyant sur des photographies de New-York, il représente plusieurs convives bien habillés dans un restaurant haut de gamme sur les toits d’un gratte-ciel. Bien qu’il n’ait pas reçu de prix pour cette œuvre, celle-ci est très remarquée et est qualifiée de « clou » par le Salon.

En 1909, à l’occasion d’un voyage scolaire à New York, son talent est reconnu et l’opportunité lui est offerte d’exposer ses œuvres en 1911 et 1912, soutenu par son ami et collègue Charles Dana GIBSON. Charles devient ainsi un artiste réputé et international.

En 1913, les deux amis signent un contrat avec le Confederate Memorial Institute à Richmond pour la décoration de quatre murs de l’Institut, travail qu’ils réalisent en 2 ans.

En janvier 1915, Charles revient en France. Réserviste de l’Armée française, âgé de 40 ans, il décide de se porter volontaire comme soldat pour défendre son pays natal et combattre l’ennemi. Il écrit « Après une période de batailles les plus sanglantes […] mon régiment contrôle les allemands avant Reims. Nous vivons dans des tranchées […] j’écris cette lettre dans un petit trou […] six pieds sous terre […] mon stylo plume et l’appareil téléphoniste (car je suis téléphoniste) sont les seuls vestiges de la civilisation, […] des milliers et des milliers d’hommes mourront ». Dans une autre lettre, il précise « Soissons est entièrement ruiné et le champ de bataille est horrible à regarder. Partout des chars et des avions abattus […], des chevaux et des hommes morts, des fusils et des munitions se sont répandus sur les champs, un spectacle horrible ». Promu sergent en décembre 1915, il est affecté en juin 1916 comme agent de liaison pour la section de camouflage entre son unité et l’unité américaine. En mars 1917, il reçoit la Croix de guerre avec la mention « a toujours fait preuve au cours des missions dangereuses qu’il a eues à remplir comme chef d’équipe dans un détachement spécial, de belles qualités d’initiatives et du plus grand mépris du danger ». Il a également servi comme artiste de guerre officiel et réalise une série de tableaux et de croquis de guerre dont certains publiés dans le journal « l’Illustration ».

Charles HOFFBAUER

Démobilisé le 4 février 1919, Charles, membre de la Société des artistes français, est nommé chevalier de la Légion d’honneur ce même mois par le Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts.

En 1921, depuis son atelier en France, il exécute une peinture murale pour le Capitole de l’État du Missouri, montrant les troupes du Missouri en France pendant la Première Guerre mondiale. Il continue d’exposer ses œuvres en France, au Canada et aux États-Unis.

En  1923, Charles peint le décor de la Salle d’honneur de l’Hôtel des Invalides à Paris où il reçoit le Prix de l’Institut de France l’année suivante. En 1924, il obtint également le Grand Prix de Rome pour la catégorie « peinture ».

Entre 1930 et 1932, il réalise le décor de la salle  des fêtes de l’Hôtel de ville d’Arras (62). La peinture retrace des scènes de vie des Arrageois au XVIème à la manière du peintre BRUEGEL.

Fresque murale de la Salle des fêtes, Hôtel de ville d’Arras (vue partielle)

En 1936, Charles, 61 ans, inspiré par le cinéma d’animation, et son épouse Henriette BROWNELL partent s’installer aux États-Unis. Naturalisé citoyen américain en 1941 et consultant pour les Studios Paramount, il poursuit son activité de peintre muraliste, réalisant des commandes tant pour les États-Unis que la France. Ses œuvres continuent de susciter beaucoup de commentaires : « Cet artiste qui aime tant l’Histoire, a réussi à la présenter, non pas comme une série d’évènements théâtraux, mais comme quelque chose de vivant et de respirant ».

Charles décède le 26 juillet 1957 à Boston, âgé de 82 ans.

Arbre généalogique de Charles HOFFBAUER


Sources :
– Archives départementales, registres d’état civil, registre matricule
– Site « Grandes Étapes Françaises », Château d’Artigny, la Rotonde, guide de visite
– Site « Leonore », dossier individuel de la Légion d’honneur, Charles HOFFBAUER, tous consultés en mai 2022
– Photos : Collections de Touraine (de André Arsicaud, juin 1982), Pinterest (de Paul Marsan dit Domac, mai 1905), Académic (croquis de 1916), archives personnelles (de Patricia Pillorger, Artigny, juin 1999 & Arras, octobre 2018)

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Dubreuil
Dubreuil
4 mois plus tôt

Il existe un Jean-Hilaire Belloc peintre, Nantes, 1786 – Paris, 1866. Serait-il de la même famille ?

Patricia PILLORGER
Patricia PILLORGER
4 mois plus tôt
Reply to  Dubreuil

Bonsoir, je ne sais vous répondre si ils ont un éventuels lien de famille. La famille maternelle de Charles HOFFBAUER est de Bourgogne et Franche-Comté.

Michel
Michel
4 mois plus tôt

Belles photos d’un château de la loire du XXem siècle, dont la visite doit être très privée et très chère…

Patricia PILLORGER
Patricia PILLORGER
4 mois plus tôt
Reply to  Michel

Bonsoir Michel, c’est effectivement un hôtel privé. Des visites sont parfois organisées par les historiens locaux.