I comme… Islette, le château témoin des amours tumultueuses d’Auguste RODIN et Camille CLAUDEL

Article d’Évelyne LÉTARD du Centre Généalogique de Touraine

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L’Islette est un ancien fief relevant de l’Île-Bouchard, à foi et hommage lige, que possédait en 1295 Jean PANNETIER, bailli de Touraine, et pour lequel il devait une rente à l’église de Colombiers : il s’était engagé à verser 1 setier de noix pour alimenter l’huile des lampes de l’église de Villandry (l’église de Colombiers, au XVème, était l’église de Villandry). Lassé de cette obligation, il engagea un procès qui dura 14 années et finit par obtenir satisfaction.

En 1350, l’Islette appartenait à Guy de MAILLÉ, seigneur de la Guéritaude ; en 1372 à Guillaume TURPIN ; en 1389, à Juhez de MAILLÉ ; en 1403, à Jean de MAILLÉ ; en 1450, à Gilles de MAILLÉ ; en 1461, à Yvon de MAILLÉ ; en 1464, à Hardouin de MAILLÉ ; de 1480 à 1507 à Abel de MAILLÉ, seigneur de Villeromain ; en 1520, à René de MAILLÉ (mort en 1531) ; en 1531, à Charles de MAILLÉ et, en 1583, à Charles de NOSSAY.

Par la suite, ce fief passa dans la famille TIERCELIN d’APPELVOISIN : Charles-Gabriel-René TIERCELIN d’APPELVOISIN, marquis de la Roche-du-Maine, seigneur de l’Islette, brigadier de cavalerie, député suppléant aux États généraux de 1789, périt sur l’échafaud en 1793. Il avait épousé Adélaïde-Louise-Félicité CHASPOUX de VERNEUIL dont il eut plusieurs enfants.

Carte de Cassini

Cette partie, la plus ancienne du château, correspond à l’ancien logis seigneurial qui était fait, quant à l’extérieur, de brique et de pierre de tuffeau et, à l’intérieur, d’un appareillage de briques. Ce logis date des années 1295 et appartenait au bailli Jean PANNETIER. Les traces horizontales plus claires correspondent aux niveaux de l’ancien manoir, et la ligne oblique certainement à la pente du toit (le corps était probablement moins haut que le château qui va ensuite se greffer dessus).

Partie la plus ancienne de la façade nord

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La façade nord

Le manoir avait alors la forme d’un L et se prolongeait sur la rivière (les petites ouvertures, murées de nos jours, servant alors à communiquer avec l’autre aile). Lorsque le logis brûla, René de MAILLÉ s’appuya sur les restes sains du manoir pour construire le nouveau château de l’Islette : la façade nord possède donc de nos jours une tour polygonale, qui est un escalier à vis desservant tous les étages jusqu’aux combles, et une tour carrée qui vient en retour d’aile.

L’actuel château de l’Islette a été construit au XVIème siècle, construction contemporaine de celle du château d’Azay-le-Rideau, entreprise en 1530 par le baron Charles de MAILLÉ et terminée vers 1535. Elle s’appuie sur un édifice du XVème siècle en brique et pierre, sans doute inachevé, qui forme son aile ouest.

Façade nord-ouest

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La façade sud

Le château, construit en 1530, n’a connu aucun ravalement depuis cette date : la pierre de tuffeau est restée claire dans sa partie plane. Ce château, qui rappelle le château voisin d’Azay-le-Rideau situé à 2 km à peine, répond lui aussi aux critères de la Renaissance :

  • tous deux sont bâtis sur pilotis, entourés de douves ;
  • ils ont un double bandeau mouluré qui délimite les étages ;
  • le rythme des travées est très régulier : les fenêtres à meneaux donnent une géométrie à la façade, façade qui se prolonge sur le jardin à la française créé dans les années 1980 ;
  • l’ensemble est surmonté d’un chemin de ronde monté sur machicoulis.

Les murs des tours rondes font 2,30 m d’épaisseur, entièrement constitués de pierres de tuffeau (pas de vide entre l’extérieur et l’intérieur). La hauteur du sol jusqu’à l’entre-solives est de 5 m !

Le château a connu une modification importante, une seule, faite par un propriétaire au XIXème siècle, Jean Baptiste DUPUY : il a voulu embourgeoiser la maison en tronquant les tours, enlevant les lucarnes qui surmontaient le chemin de ronde et supprimant le pont levis. Il fit enlever tous les meneaux en pierre des fenêtres du premier étage, ainsi que certaines du rez-de-chaussée, et fit tomber le tout dans les douves, créant un terrassement énorme autour du château, remontant le sol de 2,50 m et le tassant des 2 côtés.

A droite le moulin à céréales équipé de 2 roues à l’origine

Gilles BERTHELOT, riche financier, commanditaire et constructeur du château d’Azay-le-Rideau, le fit à la dernière mode : nous sommes à la Renaissance, la mode en vigueur est la mode italienne. Les tours du château d’Azay-le-Rideau viennent en balcon, celles de l’Islette sont bien implantées dans le sol.

Deux éléments particuliers sur cette façade sud

Un cartouche sculpté qui n’a pas été martelé à la Révolution, avec 2 anges portant un heaume de chevalier (l’ange de droite n’ayant plus sa tête d’origine, remplacée par celle d’un propriétaire désireux de se faire tailler le portrait…).
Sous le heaume, un blason : le griffon, animal mythologique au corps de lion et tête d’aigle appartenant à la famille de RONCÉ, propriétaires du château à partir du XVIIIème siècle. Le tout entouré d’une couronne de fruits et légumes, signe d’abondance.
Sous cette couronne, un village en bordure de rivière : une petite église, un moulin, un chêne finement ciselé… L’Islette.
Le tout entouré de 2 pilastres très travaillés sur lesquels figurent 2 arabesques avec 2 angelots et un corps de femme.

Un cadran solaire avec ce 8 en forme allongée dans son centre appelé « analemme ».
Cette forme a été inventée par Jean-Paul GRANDJEAN de FOUCHY en 1727, astrologue astronome qui avait remarqué que l’heure indiquée sur les horloges ne correspondait pas au soleil : il a donc imaginé ce stylet qui, frappé à midi par le soleil, va se répercuter sur la pierre et former un angle. Grâce à cet angle, il était capable de calculer le nombre de minutes en différence, donnant ainsi « l’heure vraie ».
Sur cette forme allongée, les signes grecs du zodiaque. L’ombre du stylet indique donc également la période astrologique dans laquelle nous sommes.

Camille CLAUDEL et Auguste RODIN à l’Islette

1878 : Émile ZOLA, président de la Société des Gens de Lettres, décide de rendre hommage à BALZAC, cet écrivain auteur d’une oeuvre gigantesque, La condition humaine. Il souhaite donc une sculpture monumentale de 2 m de haut à exécuter dans un délai de 2 ans, et s’adresse à un sculpteur peu connu, RODIN.

RODIN accepte, descend la Loire et vient en Touraine pour s’imprégner de la personnalité de Balzac : il lit ses romans, visite les lieux où il a résidé et tente de cerner le personnage. Par le plus grand des hasards il arrive à l’Islette, rencontre les propriétaires et réside au château en tant que « hôte payant », en fait un rapide croquis et demande l’autorisation de revenir avec un autre sculpteur.

Alfred BOUCHER, sculpteur, âgé, a dans son atelier parisien une certaine Camille CLAUDEL qu’il va présenter à RODIN, qui va découvrir cette nouvelle élève potentielle. Elle a 19 ans et, pour tester ses capacités, RODIN lui fait sculpter un pied : la demoiselle est très douée, elle a un talent fou, elle réussit à mettre la vie dans cette sculpture et RODIN va l’accepter dans son atelier. Fou amoureux, RODIN congédie tous ses stagiaires pour ne garder que Camille, à qui il promet de l’aider auprès de ses amis influents pour la faire connaître. Il lui demande de l’accompagner à la Villa Médicis pour une période de 6 mois et lui promet même de l’épouser au bout de cette liaison indissoluble. Camille l’accompagne au Château de l’Islette, où ils vont vivre des amours tumultueuses. Ils ramènent tout leur matériel et s’installent dans ce cadre idyllique.

Mais RODIN ne doit pas oublier son engagement : la sculpture de Balzac. Il se met à la recherche d’un modèle vivant de l’écrivain et le trouve dans la région : il s’agit d’un voiturier, Sieur ESTAGER, un homme bien planté avec un cou de taureau et la corpulence de Balzac. C’est parfait… et il réussit même à le faire poser nu moyennant… 1 Louis d’or la pose !

Pendant 3 années consécutives, RODIN et Camille vont venir au château, s’installer pour 6 mois et sculpter tous les jours. RODIN va s’acheter un appareil photo, photographier son modèle, faire des moulages de sa tête et lui imaginer des cheveux, et réaliser sa sculpture : un Balzac nu… Le délai est déjà dépassé d’un an quand Émile ZOLA découvre avec horreur la sculpture d’un homme nu et ventripotent sensée rendre hommage à un grand homme de la littérature ! RODIN promet de réaliser une oeuvre digne de l’auteur… et suit les conseils de Camille : pour représenter quelqu’un de la littérature, c’est l’esprit qui commande… il faut élever la sculpture !

Au bout de ces 3 ans d’amour à l’Islette, RODIN ne tient pas sa promesse d’épouser Camille et elle décide de le quitter. Elle prend un atelier rue Notre-Dame-des-Champs à Paris et s’installe pour sculpter sans relâche pendant 15 années : elle va exposer et devenir célèbre. Grand succès à l’Exposition universelle mais c’est une femme… Elle a des commandes qu’elle exécute mais ne se fait pas payer. Son mécène, son père, meurt et Camille se retrouve seule. Elle tombe dans la paranoïa et, 15 jours après le décès de son père, elle est internée. La guerre arrivera, l’hôpital sera démobilisé à Montfavet à côté d’Avignon. Camille y restera enfermée 30 ans et y mourra le 19 avril 1943 dans la plus grande solitude.

Quant à RODIN…

…il va lui falloir encore 4 ans pour arriver à la réalisation finale de son fameux Balzac, malgré les relances régulières.

1897 : grand scandale à l’Exposition universelle… RODIN reprend sa statue et la ramène dans sa Villa des Brillants à Meudon en région parisienne, où elle va rester des années dehors avant que, grâce aux impressionnistes et écrivains qui vont prendre sa défense, on ne lui demande de l’exposer à nouveau au Grand salon de l’Exposition universelle, où il connaîtra un énorme succès !

RODIN recevra des commandes du monde entier. Il louera certaines parties d’un hôtel particulier rue de Varenne à Paris, jusqu’au jour où il décidera de faire don de toutes ses sculptures à l’état et ce qui va devenir le Musée Rodin. Une clause figurera sur cette donation : Camille CLAUDEL devra toujours être présente au sein de ce musée.

RODIN s’éteindra le 17 novembre 1917 à Meudon (92), après y avoir épousé Rose BEURET le 29 janvier 1917.


Sources :

  • J-X. Carré de Busserolle
  • photo façade nord-ouest wikipedia par F.N.J.G. (Travail personnel, CC BY-SA 4.0)
  • visite guidée de Mme MICHAUD, propriétaire passionnée du Château de l’Islette
  • photographies E. Létard
  • Étude sur les « Bâtis et demeures de Touraine » de Catherine BAS-DUSSEAULX, CGDT37
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