René BARRIER, fantassin (1829-1855)

Article de Pierre et Roger HUBERT
paru dans le Touraine Généalogie n° 18 du 2ème trimestre 1994 Rubrique « Histoire et généalogie » (page 254)

Il était Tourangeau. Il habitait Courcelles. Il avait vu le jour le 6 avril 1829 à quelques kilomètres de là, à Ambillou où son père Pierre était cultivateur.

Le 6 juillet 1850, René BARRIER tira un mauvais numéro(1), il passa devant le Conseil de Révision du canton de Tours-Nord et fut déclaré « propre au service »(2).
Cet évènement nous permet de connaître sa profession et les traits principaux de son physique selon la description faite par les autorités du moment. Cultivateur, lui aussi, il était de taille moyenne : 1,69 m et avait le visage ovale, les cheveux et les sourcils châtains, le front couvert, les yeux gris, le nez gros et court, la bouche moyenne, le menton pointu. Son teint était coloré comme l’était, probablement, celui de la plupart des garçons de sa condition.

Charles X

René BARRIER était un oncle de notre grand-mère maternelle. Il n’avait guère plus d’un an quand Charles X abdiqua après les journées de juillet 1830. Nous ne savons rien de son enfance et de son adolescence ; celles-ci s’écoulèrent sous le règne de Louis-Philippe auquel mit fin la révolution de février 1848.

Nicolas Ier

Le 28 mars 1854, notre arrière-grand-oncle René fut incorporé au 20ème Régiment d’Infanterie Légère(3). La veille, la France et l’Angleterre avaient déclaré la guerre au Tsar Nicolas Ier (4). Charles Louis Napoléon Bonaparte était empereur depuis 16 mois.

Napoléon III

René, dont les ressources ne lui permettaient probablement pas de se faire remplacer selon les dispositions légales de l’époque, rejoignit son régiment le 21 avril 1854(5). Le 1er novembre suivant, il embarquait à Marseille et, 17 jours plus tard, il foulait le sol de la Crimée à Kamiesh, petit port situé non loin de Sébastopol(5). En cette fin de novembre, le corps expéditionnaire français assiégeait depuis quelques semaines ce port militaire de la Mer Noire(6) : les Russes avaient vainement tenté de le dégager par des assauts particulièrement meurtriers à Balaklava le 25 octobre et à Inkerman le 5 novembre.

Il est probable que René, comme ses camarades, connut les dures obligations des soldats en campagne, participant dans le froid et la boue aux importants travaux que nécessitait le siège sous les bombardements de la redoutable artillerie russe(7). Il a dû vivre des moments très difficiles, rendus plus pénibles encore par un hiver très rigoureux et par l’insuffisance de l’équipement des troupes françaises(8).

La Guerre de Crimée

René tomba malade et fut évacué, comme de nombreux soldats, sur Constantinople(9). Il y mourut le 12 janvier 1855 à l’hôpital militaire de Rami Schyflick de dysenterie chronique(10).

L’occasion de nous remémorer les circonstances de la mort de notre arrière-grand-oncle nous a été donnée il y a quelques temps, lors d’un voyage à Istambul. En examinant le plan de la ville nous avons remarqué, dans la ville moderne, sur la colline dominant le palais Dolmabahce, un parc appelé « Kuçuk çiftlik parki ». Rapprochant phonétiquement ce nom de celui de l’hôpital(11) où mourut René, nous avons émis l’hypothèse que cet hôpital était situé en ce lieu, hors les murs de Constantinople(12).
Nous nous sommes alors intéressés au « cimetière français » de la ville. Ce cimetière, que l’on pourrait appeler plus objectivement cimetière chrétien, est situé dans Osmanbey, à environ 1 km au nord-ouest du parc dont il est question ci-dessus, près du carrefour des rues Rumeli et Halaskargazi. Nous en avons parcouru les allées et avons constaté que le carré Saint-Jean-Chrysostome est occupé par des sépultures de militaires français décédés au Proche-Orient. 

Parmi les monuments de ce carré, une stèle commémorative porte l’inscription « ossuaire renfermant les restes des militaires français morts en 1854, 1855, 1856, pendant la guerre d’Orient, inhumés d’abord dans le cimetière de l’hôpital de la Paix à Chichli puis transférés ici en 1889 ». Il est donc fort probable que les restes de notre arrière-grand-oncle soient dans cet ossuaire avec ceux de grand nombre de soldats « laissés pour compte de la gloire », comme lui.
Tout autour des sépultures, des monuments concernant des militaires français constituent un véritable « lieu de mémoire ». Nous l’avons découvert avec beaucoup d’intérêt ; nous supposons cependant qu’il est bien connu de certains de nos compatriotes.

Aux quelques éléments que nous avons rassemblés sur René BARRIER, infiniment petit de l’Histoire, nous avons rajouté ce qui précède en guise de repères, quelques précisions d’Histoire. D’autre part nous avons émis une hypothèse, fort plausible à nos yeux, qu’il serait intéressant de vérifier à partir d’une autre source.
Nous sentons bien que notre propos est empreint d’une froideur quasi administrative. Pourtant, ce n’est pas sans émotion que, tout au long de nos recherches, nous avons essayé d’imaginer ce que furent les souffrances et les pensées de René au cours de cette expédition guerrière terminée, pour lui, si tragiquement sur la rive européenne du Bosphore(13).

Ascendance de René BARRIER

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(1) Le tirage au sort pour le service militaire avait été décrété par la Convention le 25 février 1793, écarté par le décret BARBÈRE du 23 août 1793 puis rétabli par la loi Gouvion-Saint-Cyr du 18 mars 1818.
(2) AD d’Indre-et-Loire, liste générale du contingent départemental de la classe 1849 (cote 1R108).
(3) A cette époque, le service militaire était de 7 ans (loi Jourdan de 1832). Les « bons pour le service » étaient incorporés selon les besoins.
(4) Cette guerre avait été précédée d’une période de négociations infructueuses. L’un de ses objectifs était d’empêcher la Russie de faire de la Turquie l’un de ses satellites.
(5) Service historique des armées. Registre matricule du 20e Régiment d’Infanterie Légère, devenu le 95e de ligne en janvier 1856 (cote 34 YC 4200).
(6) Débarqué près d’Eupatoria le 14 septembre 1854, ce corps expéditionnaire avait remporté la Victoire de l’Alma le 20 septembre 1854. Il assiégeait ensuite Sébastopol en coopération avec le corps expéditionnaire anglais.
(7) Un personnage russe, infiniment moins obscur que René, participait alors à la défense de Sébastopol : Léon TOLSTOÏ, jeune officier d’artillerie, y était en effet en décembre 1854. Il y connut, lui aussi, « la boue liquide, jaune et puante des tranchées ».
(8) Les troupes françaises étaient munies de leur équipement d’été et manquaient de souliers, de pain, de combustible. A la même époque, en France, les journaux parlaient de la douceur du climat de Crimée.
(9) 12000 Français et des Anglais en plus grand nombre furent évacués en trois mois, victimes, notamment, du scorbut. Déjà en juillet 1854, un corps expéditionnaire français envoyé en Dobroudja avait été décimé par le choléra ; le maréchal de Saint-Arnaud, qui le commandait, mourant de cette maladie quelques jours après la victoire de l’Alma.
(10) Selon les indications de l’acte de décès transcrit sur le registre d’état civil de Luynes.
(11) En 1855, en Turquie, la langue parlée n’était pas écrite. C’est en 1928 que l’alphabet arabe fut remplacé par l’alphabet en latin.
(12) Notons qu’actuellement l’hôpital Pasteur est situé non loin de Kuçuk çitftlik parki.
(13) La guerre de Crimée s’est terminée victorieusement en septembre 1855. Le traité qui en a été la conséquence a été signé à Paris le 30 mars 1856 par l’Angleterre, l’Autriche, le Piémont, la Russie, la Turquie et la France.

Illustrations : Wikipedia (Panorama du siège de Sébastopol réalisé en 1904 par Franz Roubaud) – AD37

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